Chaque jour, Alain adresse à l’Archipel des Sans-Voix un « billet » et parfois des images pour que nous puissions les publier ici en son nom.

Billet 8 –  Lundi 22 juillet : Ivréas > Dorzano
(25 Km / Cumul 166 Km).

Bonjour,
Cela se passait hier….
Tout a commencé par des insomnies à répétition et provoquées. De celles qui vous laisse les yeux grands ouverts et la certitude de ne plus vous rendormir. Ma nuit à Ivréa fut profondément marquée par les hurlements nocturnes d’un voisin de logement qui régulièrement interpellait quelqu’un, quelque chose qui n’était pas là et qui ne vint jamais d’ailleurs. D’autant plus angoissant que ne parlant pas la langue, seul le ton digne d’un bruitage de mauvais film de morts- vivants, a zébré ma nuit.

Et puis cette étape ne me plaisait pas. Pourquoi, je ne sais pas. L’intuition, sans doute.

Et ben je ne me suis pas beaucoup trompé. Même si je sais que j’ai changé de région et donc que le paysage ne peut être identique à ces derniers jours, j’ai quand même eu des coups de cœur à beaucoup d’instants. J’espère que les photos vous confirmeront mes dires. Mais que cette journée fut longue, chaude et pour la première fois depuis le départ l’alternance asphalte et chemins de terre fut bien souvent au détriment des seconds.

Et le lac me direz-vous, vous deviez bien longez un lac non ? Pour le longer, je l’ai longé mais en hauteur … sans pouvoir y avoir accès.

Et contrairement au méridien, ce voyage n’a rien d’une ligne droite. Le pèlerinage à Rome va d’église en église et moi hier, de désillusion en énervement. Mon itinéraire sur les traces du spirituel m’a fait faire plus de kilomètres que nécessaire. Se perdre en suivant l’étoile du Seigneur, il n’y a que moi qui était capable de relever le défi.

Et vous me connaissez. Je l’ai si bien relevé, que j’ai gagné le droit de faire environ 6 Km de plus dans une forêt, pleines de bruits et de ronces. C’est surtout les ronces que je n’ai pas aimé. Et quand il m’arrivait de revoir le soleil, mon ombre réapparaissait ce qui fait que j’avais quelqu’un avec qui parler. Il faut dire que cette dernière avait cette forme étrange, mi-tortue Ninja, à cause du sac à dos, mi-bouteille d’Orangina car pour être secoué je l’étais vraiment.

Ma récompense du jour s’appellait Cavaglià. Quelques kilomètres de plus que l’étape initiale, mais c’était, le seul endroit où j’avais un coucher. Et ben pas du tout. L’aventure n’était Pas finie et j’ai du rajouter 5/6 Km pour trouver logis, douche et lit.

Et pour tout vous avouer c’est ce dernier qui a eu tout de suite ma préférence et ce jusqu’à ce matin. Cette étape ne me plaisait pas.Je vous embrasse
Alain

Billet 9 – Mardi 23 juillet : Dorzano > Santhià
(18 km / Cumul 184 Km)

Bonjour,
Heureusement qu’il y a des journées comme celle d’hier pour encore et toujours pouvoir dire que la vie est belle si on lui donne de l’importance et si on sait oublier ses ampoules aux pieds pour aller voir ce qui se passe à côté de nous.

Cette journée a été plaisante, pas de bobos douloureux, courte, environ 18km, et sans prises de tête particulière dans la mesure où j’ai passé mon temps à traverser des champs de maïs, de petits ponts en pierre sur des canaux et ne croiser personne. Sauvage, non, c’est dans l’ordre du vivant. Se sentir à sa place, c’est exister, c’est aussi ça le bonheur, ne pas se sentir anonyme. Et que sommes-nous d’autres, nous les précaires. Des numéros de dossiers, de places dans la foule des gueux, pour les plus chanceux d’entre nous un code de carte bleue. Et bien là, j’ai conscience être un homme qui a mal aux pieds, pour ne pas m’appeler un marcheur, mais n’est pas là réalité quand on est en marche, les ampoules….Un marcheur qui reste assis est lui au pire, un ministre et au mieux un député.

Mais trêve de philosophie de comptoir. Car peu importe que l’on soit de droite ou de gauche, bien que je sois de gauche, jeune ou viEu …

Re-Bonjour,
Mon doigt a glissé. Il fait si chaud que j’en arrive à transpirer des doigts !!!!

De droite ou de gauche, jeunes ou vieux, croyants ou pas. Nous cherchons toutes et tous la même chose, enfin je pense. Le bien et le beau. Et en ce sens- là, nous faisons toutes et tous à notre niveau un pèlerinage. Car en fait, la politique, les croyances ou les appartenances ce n’est pas l’essentiel. Notre seul dénominateur commun à nous toutes et tous c’est bien d’être. Bossuet bien avant moi n’a-t-il pas écrit : « le but de toute vie, c’est d’être heureux » c’est à dire de se trouver soi-même. Vous vous rendez compte je suis dans un champ de Maïs par 33 degrés au moins, j’ai les pieds dans un petit ruisseau, j’ai comme auditrices des grenouilles et des libellules et je cite Bossuet … !

Capax Dei – capable de Dieu – voila dans quel état je suis après quelques jours loin de l’agitation de la ville et des hommes. Là maintenant à 10:38 (ce mardi 24 juillet) et je suis en équilibre pas complet mais en équilibre quand même. Je ne sais pas ce qui m’attend, mais je sais que je suis attendu quelque part, que quelqu’un sera là pour moi en cette fin de journée.

Alors je reprends le cri des pèlerins : « Ultréïa – va plus loin » et je vous embrasse.
Alain

 

 

 

 

 

Billet 10 – Mercredi 24 juillet : Santhià > Vercelli
(25 km / Cumul 209 Km)

Bonsoir,
Je savais les Italiens grands fournisseurs de Pizzas et autres pâtes, de bons fromages et d’excellents vins, mais de … riz, alors je n’en aurais même pas rêvé. Et pourtant j’ai passé ma journée dans les rizières, oui vous me lisez bien, des rizières. Et cela à perte de vue.

Évoluant sur des cordons de terre large comme un homme et départageant des plaines inondées et maintenant je sais pourquoi. Il aurait suffi que je croise un animal à bosse pour que je croie au Vietnam. Et ce d’autant plus que j’ai passé ma journée à me battre contre cet ennemi terrible qu’est le moustique … tigre, cheval ou singe, peu importe son signe mais je peux vous certifier qu’il pique et même très bien et très juste. Je puis vous assurer que j’ai rêvé de désertification des campagnes. Le paysage n’offrait aucune distraction car même ce ruban que je déroulais à mesure de mes pas n’était bordé de part et d’autre que par de l’eau stagnante. J’ai été à plusieurs reprises en capacité d’overdose de piqûres et je peux affirmer ce soir que l’on peut- être pris de vertige même en terrain mortellement plat. Hemingway se plaisait à appeler ses cigares : « les clous de cercueil » pour le plagier j’oserai appeler ces foutus moustiques les pointes de mon cercueil…

Heureusement que lorsque le corps est en marche, en tout cas le mien aujourd’hui, il peut propulser l’esprit bien plus loin. Moi qui ne veut pas une vie sur des rails, une existence toute tracée qui file sans surprise en ligne droite comme le fameux méridien, mais vers la mort. Et bien j’ai été servi aujourd’hui….

Je vous embrasse
Alain

Billet 11 – Jeudi 25 juillet : Vercelli > Robbio
(16 km / Cumul 225 Km)

Bonsoir Tout le Monde,
Ce soir je dors dans la maison communale du village où je fais étape. C’est le genre de village que l’on traverse sans y penser, comme ça parce que c’est sur la route mais rien de plus. Et pourtant en s’y perdant on trouve une église du presque 11ème, un château magnifique et surtout d’après la rumeur que l’on appelle : légende, ici, la meilleure pizza de toute la Lombardie voir même selon certaines versions des deux réunis avec le Piémont.

En tout cas cette journée fut placée sous le signe de la rencontre et quelle rencontre. Je vous laisse imaginer…

Il est 7h30 / 8h00 ce matin et je marche dans mes pensées depuis environ déjà 2 heures. Au bout d’un chemin de rizière dont je vous mets une photo après, un gros nuage de poussières produisant un bruit monstrueux car indéfinissable vient dans ma direction. La vitesse de l’Objet Rampant Non Identifié – ORNI – étant plus élevé que celle de votre modeste serviteur, il me fut rapidement évident que dans mon intérêt j’avais l’obligation de me ranger très très près des premières pousses de riz -les pieds dans l’eau donc – Si, mon esprit arrivait à mettre un nom et une forme sur le nuage de poussière, il n’en était rien du bruit qui ne ressemblait à rien que mon cerveau ne connaisse.

Cela faisait bien 5 minutes que mes sandales baignaient dans l’eau gadoueuse, que déchirant le rideau de particules élémentaires jaillit un être juché sur une monture mécanique. Deux roues, un guidon sur lequel était ficelées une pelle et une fourche avec des manches qui avaient dues être en bois. Pilant net devant moi et sans me regarder, il descendit dans la fosse en invectivant la terre entière dans une langue inconnue à mon discernement. Il donna quelques coups de bottes dans des mottes de terre, ralluma son mégot et toujours sans me capter, renfourcha son engin qu’il n’avait pas éteint pour disparaître dans cette poussière ressemblant désormais à un essaim de mouche….

Ça,ce fut ma seule rencontre humaine d’la journée, il y a de l’espoir vous voyez !!!!!
Au plaisir. Je vous embrasse.
Alain

Billet 12– Vendredi 26 juillet : Robbio > Garlasco
(31 km / Cumul 256 Km)

Bonjour,
Hier, aujourd’hui, demain, le seul calendrier qui vaille la peine pour moi en cour, aujourd’hui, c’est bien celui du chemin. La priorité n’est plus au corps. la catharsis de mon vécu actuel – ça c’est beau !!! – s’est inscrit lentement dans le rythme lent du pas inscrit dans la durée.

Depuis plusieurs jours, le chemin n’est plus qu’une ligne de fuite et aujourd’hui, plus spécialement, j’ai du me mettre en léthargie pour échapper aux moustique et ne plus les entendre me piquer.

Mais qu’est ce que je fais là ? J’avale de l’espace dans une campagne résolument plate. C’est fou ce qu’un kilomètre peut-être long lorsque l’esprit ne s’envole pas. Et aujourd’hui le mien reste collé à la poussière du chemin. C’est le pays de tant de merveilleux artistes, mais mieux vaut les admirer qu’y être !!!!!!

Mais le moral est toujours là, j’ai toujours le goût au voyage et ma vie est belle, même avec les moustiques … Et puis je sais qu’a l’étape, j’ai rendez-vous avec un train qui va m’amener en quelques minutes à Pavie où j’ai rendez-vous … Mais ça c’est une autre histoire et demain un autre jour.
Je vous embrasse
Alain

*** Chronique à suivre … pas à pas ***

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