Lettre à Monsieur le président de la République française

Palais de l’Élysée
55 rue du Faubourg Saint Honoré
75008 Paris

Monsieur le président de la République,

C’est avant tout un être humain de 53 ans, qui s’exprime par cette lettre, un simple être humain parmi des milliards d’autres, un être humain dont la vie et celle de son enfant sont menacées.

Des menaces conçues par des hommes, par des lois, par des politiques, par des bureaucrates pour non pas assurer le bien-être de l’humanité et de son habitat mais diviser cette humanité sans le souci de son habitat naturel.

Des milliers de réfugiés, des hommes, des femmes et des enfants fuient leur pays suite à une guerre, suite au dérèglement climatique voire à des menaces de mort. Cette crise humanitaire concerne l’humanité tout entière.

Le concernant, il ne fuit pas son pays de naissance, bien au contraire, pour la seconde fois il parcourt son pays à vélo, environ 3 850 kilomètres non pas pour passer des vacances, mais trouver une issue au long tunnel de la précarité qu’il traverse depuis plusieurs années.

Lors de votre visite officielle au Vatican, le Pape François vous a offert un cadeau hautement symbolique, le médaillon représentant Saint Martin, ce soldat de Rome qui a partagé son manteau pour le donner à un pauvre. « C’est la vocation des gouvernants de protéger les pauvres et nous sommes tous des pauvres ». Cette phrase prononcée par le Pape François est d’actualité de nos jours.

Un chef d’État est élu par le peuple et pour le peuple. Est-ce le cas actuellement ?

Cet homme de 53 ans vit sous le seuil de pauvreté, 9 millions de citoyens sont dans ce cas. Il fait partie de la France qu’on laisse sur le bord de la route, il fait partie de la France qu’on stigmatise, victime de préjugés.

Des accidents de la vie peuvent survenir : personne n’est en sécurité, à l’abri d’un licenciement, d’une maladie, d’un divorce, de la perte de son logement, d’une famille inexistante,, et le tout engendre des situations dramatiques empêchant de remonter l’échelle sociale dans de bonnes conditions.

Il est bénéficiaire de l’ASS, l’allocation spécifique de solidarité d’un montant de 484 € par mois, soit 16,48 € par jour.

Ce n’était pas son but dans la vie, à 53 ans d’être dans cette situation !

Il a travaillé pendant 25 années, il a cotisé, il a payé des impôts, il a fait son service militaire, et pourtant impossible de retrouver un emploi, non pas par manque de volonté ou d’efficacité mais en raison de critères trop nombreux, c’est-à-dire pour les uns trop vieux à 53 ans, trop cher ou trop qualifié, et pour d’autres privés d’emploi trop jeune, pas assez qualifié, trop diplômé ou des critères en rapport à la couleur de peau, à l’origine, au nom de famille ou à l’endroit où ils vivent. La discrimination et les critères abusifs ne résoudront pas le chômage dans ce pays.

Comme plusieurs millions de personnes en France, il vit sous le seuil de pauvreté. Sous un seuil qui ne permet pas de vivre, mais de survivre avec 16,48 € par jour, une somme dérisoire pour se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner, etc.

Il est un sans-abri en sursis, du jour au lendemain il peut se retrouver à la rue s’il n’a plus d’hébergement solidaire.

La Solidarité ne doit pas être un délit, mais un acte propre à l’homme et au maintien de l’humanité.

Une partie de la population vit dans des caves, des parkings ou des campings, dans des situations misérables alors que la France est l’un des pays les plus riches au monde. Souvent il s’agit de gens qui ont perdu leur emploi et qui ont dégringolé. Leur nombre s’accroît avec la crise et la flambée des prix du logement. Ceux qui en arrivent là n’ont plus aucun recours, ils sont exclus du marché traditionnel du logement. Enfin, il y a le retour de formes de bidonvilles, souvent le fait de réfugiés chassés de leur pays, pour qui c’est l’ultime solution. Ils se forment autour des grandes villes comme Paris, Lyon et Marseille, mais aussi de villes de plus petite taille comme Saint-Étienne ou Metz.

En France, 200 000 personnes vivent dans des logements de fortune et 600 000 dans un habitat très dégradé.

On sait que l’espérance de vie des sans domicile fixe est d’environ 50 ans. Le mal logement a des répercussions directes sur la santé des personnes en général, pas seulement pour ceux qui n’ont pas de toit.

N’oublions pas que la rue tue encore de nos jours : 510 morts en 2017, 174 morts depuis le début de l’année 2018 ; pour la sécurité routière on se bat afin de réduire les morts de la route, que fait-on pour les sans-abri ?

N’oublions pas aussi les conséquences du chômage, en effet le chômage tue environ 10 000 à 14 000 personnes par an sous la forme de suicides, de maladies cardio-vasculaires, de cancers, de maladies psychologiques.

On n’est pas de gaieté de cœur au chômage, c’est un fléau qui dure depuis plus de 40 ans, on l’a laissé pourrir sans prévoir le futur proche et l’avenir.

Permettez-moi de citer l’article 25 de la Déclaration des Droits de l’Homme :

  1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

Pour la seconde fois, cet homme va parcourir à vélo le pays des Droits de l’Homme, le pays de la diversité, le pays dont la devise est la liberté, l’égalité et la fraternité.

Et pourtant cette déclaration universelle des Droits de L’homme qui est bafouée dans certains pays l’est aussi dans ce pays, tout comme sa devise est malmenée.

Cet homme de 53 ans est riche non pas par l’argent, mais par le cœur, par la volonté de se battre.

Pendant sa longue période de chômage, il a été chercheur d’emploi tout en étant bénévole de 2010 à 2014 au SAMU Social de sa ville et de 2010 à 2012 aux Secours Populaire Français.

Cela a changé son regard en tant qu’être humain.

En 2010, il a effectué 3 000 km à vélo dans 35 villes de France et 22 départements pour y déposer près de 2000 CV auprès d’employeurs, d’entreprises, de commerces et d’élus. Depuis 2010, des années de recherches d’emploi pour un total de 7 500 candidatures de toutes sortes.

Même pas 0,5 % de réponses suite à ce tour de France ! Seul point positif : de belles rencontres, une solidarité encore présente.

Plusieurs demandes de formations, toutes refusées par manque de financement et trop de candidatures.

Il a effectué différentes prestations mais sans aucun suivi, lors de simulations de recrutement auprès d’employeurs, il a obtenu de bons résultats mais pas d’embauche à la clé.

Il fait partie des sans voix, des sans dents, des sans cravates, des sans logement et surtout des sans travail.

Il fait partie des fainéants, des pauvres dont l’on dit qu’ils ne veulent pas sortir de leur situation, ou selon certaines déclarations de personnalités politiques, il fait partie des gens qui vivent bien avec des minima sociaux et peuvent se permettre d’aller en vacances au Bahamas.

Honte de sa situation ? Auparavant oui, maintenant non, car il entretient une force mentale lui permettant d’être au-dessus des préjugés, des jugements et des critiques.

Vous êtes déjà le troisième président de la République élu pendant sa longue période de chômage, pourtant pas de changement en rapport avec le chômage, et la pauvreté dans un pays riche comme la France s’accroît.

Pôle Emploi envisage de supprimer des milliers de conseillers de ses agences,  ce qui engendra une dégradation du suivi des demandeurs d’emploi ; un suivi virtuel n’est pas suffisant et ne remplacera pas les relations humaines. Les personnes ne doivent pas être que des chiffres ou des numéros de dossiers ou d’identifiants, elles sont avant tout des êtres humains.

Auparavant un suivi mensuel existait, ce n’est plus le cas, auparavant dès qu’une offre intéressait le privé d’emploi, il allait directement se présenter à l’employeur avec son curriculum vitæ, ce n’est plus le cas.

Aujourd’hui un entretien avec un conseiller de Pôle Emploi a lieu tous les six mois, une fois par an ou par des entretiens téléphoniques de 10 minutes. Après plusieurs dépôts de candidatures et CV, aucune réponse.

Le chercheur d’emploi doit prouver ses recherches, mais sans réponses à ses candidatures de la part des employeurs, de l’agence Pôle Emploi, des agences d’intérim : il faudrait que la réciproque existe aussi.

Pas assez de moyens humains et financiers donc pour un meilleur suivi des chômeurs et de leur formation.

Mais en parallèle le Ministère du Travail veut mettre en place un contrôle des chômeurs pour combattre un faible pourcentage de fraudeurs alors qu’en même temps des milliards sont détournés par l’évasion fiscale et que le gaspillage des richesses existe dans notre pays.

De plus en plus d’injustices sociales touchent les retraités les plus modestes, les travailleurs précaires ont de plus en plus de contrats courts ou CDD, les privés d’emplois sont stigmatisés par des préjugés, les agriculteurs ne peuvent plus vivre avec le fruit de leur travail, certains ou certaines vivent dans leur voiture, leur tente ou dans des logements insalubres.

Le service public est menacé par la création d’un système à deux vitesses pour la santé, pour l’éducation et pour la justice.

Certes des économies sont à faire, mais pendant que des élus de la République touchent malgré leur absence 6 000 €, que 500 000 € ont été dépensés pour le renouvellement de la vaisselle de l’Élysée, que des dépenses inutiles ont engagées pour un congrès au château de Versailles, on demande au peuple de se serrer la ceinture.

Le soussigné n’a pas eu la chance de faire de hautes études, mais cela ne l’empêche pas d’observer ces injustices et cette dégradation sociale.

Il sera sur les routes de France, sans moyens financiers et sans sponsors. Il sera à vélo avec une remorque totalement autonome, il parcourra le pays pour faire un constat au niveau environnemental, au niveau social, mais aussi pour croire encore à la démocratie et aux valeurs de son pays.

Il n’a plus rien à perdre, il a beaucoup perdu, sauf sa volonté de combattre, sa volonté de survivre, le droit à sa liberté de penser, sa liberté de se déplacer, liberté, premier mot de la devise française.

Un jour à une amie dans une situation identique à la sienne, il a posé la question suivante ; « De quelle génération sommes-nous ? Elle lui a répondu : « on est de la génération à crever… ! »

En effet, il est en train de crever petit à petit comme des centaines d’hommes et de femmes de la même génération et de situation identique. Ces hommes et ces femmes dès 45 ans, 50 ans sont des séniors pour Pôle Emploi et pour les employeurs, une catégorie trop vielle non pas pour travailler mais trop chère, et en parallèle on demande de travailler plus et plus longtemps. Quel avenir pour ces hommes et ces femmes séniors privés d’emploi lors du passage à la retraite ? Comment vont-ils vivre, survivre et dans quelles conditions dans un futur proche ?

À quand une augmentation du SMIC de 1 400 € net par mois ? À quand une taxe sur toute machine ou technologie remplaçant le travail humain ? À quand le droit à un logement pour tous ? À quand une vraie démocratie ?

Ce n’est pas en divisant le peuple ou en stigmatisant les différentes classes sociales que nous trouverons les meilleures solutions pour une démocratie plus juste, pour un meilleur partage des richesses. Quel avenir allons-nous laisser aux futures générations ? Quel habitat allons-nous laisser si nous continuons à produire toujours plus, sans se soucier de la protection du monde végétal et animal ?

Le mot impossible pour cet homme de 53 ans n’existe pas, car tout est possible ensemble avec solidarité, partage et amour. Le mot espoir existe pour lui, car sans espoir, la vie serait un enfer et il faut croire en l’espoir. Et pour finir il s’indigne de voir ce manque de partage des richesses, du travail et de voir un peuple se diviser.

Pour conclure, le soussigné tenait à préciser qu’il n’appartient à aucun parti politique ou syndical à ce jour, et tout en respectant les différentes religions, il n’est dans aucune d’elles.

Il est tout simplement un être humain, avec ses défauts et ses qualités et c’est avec un regard, une conscience, un cœur d’être humain qu’il observe le début du déclin de l’humanité et la dégradation de son habitat.

Le soussigné vous prie d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de ses sentiments très respectueux.

Michel Catoire
Reims le 9 juillet 2018
(courrier original adressé ce jour en recommandé à son destinataire)