Retrouver l’auteur sur sa page FB @laMeufaveclesMots

Moi, je viens de la banlieue de l’engagement, de la banlieue du militantisme.

Moi je viens d’un monde où on s’énerve devant le 20h de France 2 et où on continue pourtant à le regarder tous les soirs.
Un monde où on va jamais en manif mais où on se réjouit qu’il y en ait.
Un monde dont on critique presque toutes les lois, tout en faisant attention à ne jamais les enfreindre.
Un monde où on ne croit plus ni aux élections ni aux candidats mais où le vote reste un devoir et l’abstention une honte.
Je viens d’un monde pétrit de contradictions. J’ai grandi entre 2 univers parallèles qui semblent coexister sans jamais se croiser.

D’un côté, il y a la réalité. Evidente, omniprésente, violente, péremptoire, autoritaire. On ne peut pas y échapper et on ne VEUT PAS y échapper. C’est pourquoi mes parents regardent systématiquement les infos, écoutent la radio et lisent des journaux. Un besoin impérieux d’être connecté au réel. Comme si on avait le devoir de savoir.

Et de l’autre côté, il y a ce qui devrait être. Cette espèce de monde fantasmagorique et illusoire qui n’existe que dans nos têtes. Mais qui existe. Et il prend de la place. Parce que c’est pas parce qu’on n’a pas d’engagement qu’on n’a pas de valeurs. Dans mon monde, on est bourré d’idéaux. Des vrais guimauves à l’intérieur. Et ces idéaux donnent un goût amer à la réalité. On la voit grise. Et floue. Parce que ces 2 univers ne se superposent pas, ils sont en décalage. Et nous aussi.

De là d’où je viens, on est complètement à côté de la plaque. On voit comme le monde pourrait être beau et on voit comme il ne l’est pas. Comme si nos yeux ne savaient pas sur quoi faire la mise au point, on passe d’une vision réaliste trop proche de nous à une vision idéale beaucoup trop lointaine. Au bout d’un moment, l’accommodation ne se fait même plus et ça file juste mal au crâne et au cœur. L’humain est pas fait pour être si divisé mais dans mon monde sans engagement, on sait pas recoller ces 2 morceaux. Le ping pong mental s’arrête là. Et nous laisse conscients, nostalgiques et IMPUISSANTS.

C’est vraiment le mot qui nous caractérise le plus. Qui me caractérise le plus. Qui me caractérisait le plus. J’étais impuissante.

Face à l’horreur du monde j’étais impuissante. Face à l’idéal de ce qu’il pourrait être j’étais impuissante.
Face à l’injustice j’étais impuissante. Face à mes peurs j’étais impuissante.
Face à l’indifférence j’étais impuissante. Face à ma colère j’étais impuissante.

Très loin de l’océan, j’étais une goutte d’eau sur un mouchoir usagé au fond d’une poche. Une vieille larme séchée dont il ne reste qu’un peu de sel et beaucoup d’amertume.

J’ai vu mes parents croire très fort, s’embraser d’espoir, se lever dans la tempête du quotidien pour défendre une idée ou une valeur. Et je les ai vus revenir brisés, désolés, désespérés, perdus. Doutant de leur force et du sens du monde. Je les ai vus pleurer devant des injustices, cherchant désespérément une explication, une raison, une logique même de merde pour justifier l’absurde.

Dans le monde d’où je viens, nous sommes des enfants. Tout nous émerveille et tout nous blesse. On croit passionnément et on est déçu tout autant. Tous les jours le père Noël n’existe plus. Et y a un moment où on n’en peut plus de ces montagnes russes émotionnelles qui foutent la gerbe. Un moment où y en a marre d’égratigner notre naïveté sur ce monde de merde. Un moment où c’est trop.

Mais face à ça aussi on est impuissant. Et quand on en arrive à là, quand on est impuissant devant notre impuissance, quand on sent bien le ridicule de la chose… Ba … on ne fait rien.

Vous êtes surpris ? Et bien c’est ça l’impuissance. Quand l’inaction devient surprenante.

Alors comment je suis sortie de ce truc-là ? Comment j’en suis arrivée à m’engager et à devenir une militante ? Quel a été mon déclic ? Qu’est-ce qui m’a fait passer à l’action ?

Ba j’en sais rien.
Est-ce que j’ai eu un sursaut d’espoir qui m’a fait faire un premier pas, suivi d’un second, puis d’un troisième, etc ? Est-ce qu’au contraire j’ai touché le fond et foutu pour foutu j’ai tenté un truc en fermant les yeux ? Est-ce que j’ai été poussée par une intuition ou un instinct de survie ? Ou est-ce que ça relève du pur hasard ? De la chance ?

Bordel j’en ai aucune idée.
D’autant que j’ai pas l’impression que l’impuissance soit un pays que l’on traverse et dont on peut passer la frontière une bonne fois pour toute. Je suis pas devenue une militante en mode Pokémon Evolution.

Aujourd’hui encore, à chaque fois que je fais un truc engagé c’est difficile. A chaque fois mon sentiment d’impuissance raboule et j’ai envie de tout abandonner, de baisser les bras, de ne rien faire. Des fois c’est ce qui arrive et c’est ma culpabilité qui me ramasse à la petite cuillère. Et des fois, j’arrive à faire un pas avant de ne plus y croire. Un pas de plus.

Mais est-ce que c’est pas ça s’engager ?
Faire un pas de plus quand plus personne n’y croit ?