Article paru sur le site de la Fondation de l’abbé Pierre

À Lyon, la Fondation a été à l’initiative d’une démarche inédite : donner la possibilité aux personnes sans abri de prendre la parole pour aborder leur parcours de vie.

C’est l’agence lyonnaise de la Fondation qui a financé cette initiative afin de faire entendre la brutalité de la rencontre de personnes sans abri avec des dispositifs sans perspective de solutions, violence vécue également du côté des acteurs sociaux qui souffrent d’une modification importante de leur fonction de plus en plus tournée vers de la mise en attente des personnes.

La démarche à laquelle se sont prêtés Aïcha, Danièle, Marie-Ange, Fabien, Kévin, monsieur Muteba, Thomas et Yannick pour leurs témoignages recueillis par Atlantide Merlat, chargée d’études sur les thématiques de l’habiter et de l’évaluation participative, a permis d’aboutir à ce recueil de 38 pages qui sera remis à l’occasion de la présentation de l’éclairage régional Auvergne-Rhône-Alpes, le 5 avril prochain, à Lyon.

Sur la métropole lyonnaise, même si l’Etat et les collectivités soutiennent une politique volontariste de développement de l’offre de logement depuis de nombreuses années et les capacités d’hébergement ont fortement progressé.

Néanmoins, le nombre de personnes sans abri est estimé à minima à 1 500 personnes et le récent bilan du renfort hivernal 2018/2019 pointe la difficulté particulière à résoudre la problématique des personnes isolées.

Environ 8 500 personnes sont en attente d’un hébergement auprès du SIAO local et plus de 6 000 personnes sont hébergées.

Atlantide Merlat, chargée d’étude : « Si les initiatives visant une meilleure compréhension de ce que vivent les mal-logés se multiplient, il subsiste un manque de dialogue entre les aidés et les aidants. Les enquêtes vont au-devant des usagers des services qui restent encore tenus à l’écart des enjeux institutionnels et des espaces de décisions. Le témoignage des personnes rencontrées vient alimenter la compréhension sensible de l’expérience de l’absence de domicile.
Mais en avançant dans le travail, le caractère descriptif des récits s’est effacé au profit de points de vue, d’analyses, de propositions que nous avons listées ensemble en pensant aux destinataires des services de demain.
»

Ce recueil d’expériences des personnes telles qu’elles ont vécu, perçu, ressenti le système de réponses depuis l’attente à la rue, n’apporte pas toutes les réponses à ces questions mais il amorce la dynamique. Il participe de la lutte contre les représentations vis-à-vis des personnes exclues du logement, à ouvrir la parole et le savoir, à faire mouvement aux côtés
des personnes mal logées.

Quelques propositions sont mises en avant à la fin du recueil, comme l’humanisation des structures d’hébergement à taille humaine, l’élargissement des possibilités d’accueillir un animal au-delà des foyers spécialisés ou encore l’hospitalité pour les personnes accueillies via le dispositif 115….

L’agence de la Fondation compte poursuivre ce travail d’enquête et de capitalisation et devrait faire paraître en 2020 un guide-conseil des personnes mal logées aux mal-logés, sur les dispositifs de l’urgence sociale.

Extrait :

… Aurélien, 40 ans, a dormi dehors pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, il a trouvé un studio en résidence sociale et décroché un emploi de travailleur pair qui lui permet de valoriser son expérience de la rue :

« Concrètement tu vas faire une domiciliation dans une association et quand tu te domicilies, ils t’imposent un travailleur social. Pourquoi pas, si la personne est compétente. Sauf que moi j’en ai vu des travailleurs sociaux et celle que l’association (qui m’a domicilié) m’a attribué était ultra débutante. À chaque entretien elle disait « je ne sais pas, je vais demander à mes collègues ». Là où j’ai pété les plombs, c’est que je devais la voir et que j’ai appris qu’elle était en vacances. Alors j’ai demandé un entretien pour changer de référent social. Il y a dix ans en arrière, j’aurais tout cassé dans la structure, mais là j’ai fait les choses dans les règles. Je suis arrivé à l’accueil, je suis tombé sur une gamine de 20 ans en service civique qui me dit que « c’est pas possible ». Je lui ai demandé de faire passer le message.
C’est la cheffe d’équipe qui m’a reçu mais ils m’ont bien fait poireauter deux heures. Bon j’ai patienté, j’ai joué le jeu mais je savais que j’allais me faire envoyer chier. J’ai expliqué que je voulais changer de référent social, que je le demandais pour moi, pas contre elle. On m’a fait comprendre que ce n’était pas possible, que j’étais injuste envers elle. J’ai répondu qu’elle était inexpérimentée. Par la suite, j’ai reçu un courrier comme quoi ma demande était refusée. Quand ma référente est rentrée de vacances, je lui ai dit ce qui n’allait pas et je lui ai dit qu’on arrêtait là, qu’elle pouvait m’oublier et que je viendrai juste chercher mon courrier. Depuis je n’ai pas droit à un sourire ni rien. »