L’association RSA 38 (mesure, depuis sa fondation en 2013, la nécessité du moment préalable : face à une situation aberrante ou injuste ou les deux, le premier geste qui sauve est de trouver les mots pour le dire et de les énoncer. Cela ne permet pas forcément, mais parfois, d’obtenir satisfaction sur le moment mais cela définit la posture pour vivre cette situation dans la dignité, responsable et libre de sa vie.

Voilà pourquoi nous avons décidé de créer une manifestation appelée

“ le Printemps des Talents RSA “

et que pour cette 2e édition nous avons choisi d’accorder notre prix à Edouard LOUIS pour son livre « Qui a tué mon père » aux éditions du Seuil

“Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique ; Une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c’est vivre ou mourir“.

Cet extrait du livre d’Edouard Louis “Qui a tué mon père“ – Éditions Seuil – résume bien à lui seul la raison – mais en faut-il une, absolument ? – qui a fait que les PARSA (Personnes Allocataires du Revenu de Solidarité Active) qui font partie de l’association RSA 38 (Réflexions pour des Solutions d’Avenir en Isère) aient choisi ce livre comme prix littéraire 2019.

Après, Yvon Le Men qui accepta d’être notre premier choix en 2018, avec son histoire en vers et contre tout “En fin de droits“ – Éditions Bruno Doucey – c’est donc Édouard Louis et son texte court et dense en forme de réquisitoire contre toutes celles et tous ceux qui, selon lui, ont rendu son père “presque mort“ que nous avons retenus.

Si aujourd’hui, il existe une littérature française que l’on peut dénommer, “engagée“ ; nous sommes de ceux qui regrettons que personne n’a eu la nécessité de s’engager dans une littérature de confrontation. Personne sauf Édouard Louis. Nous n’avons trouvé que lui sui s’autorise à   prendre le lecteur et lui mettre le nez sur ce que c’est que la politique et comment celle-ci touche les plus faibles et les plus démunis…

Le lecteur moyen, dans une classe sociale moyenne, finalement, il peut ne pas se rendre compte que certaines lois de Sarkozy vont faire qu’un ouvrier qui a eu le dos broyé à cause d’une machine qui lui est tombé dessus soit obligé d’aller à quarante kilomètres de chez lui pour être balayeur… et que ça va encore plus, évidemment, endommager son corps et le mener à une mort certaine… Nous, c’est notre quotidien et pour nous c’est absolument primordial de l’écrire ! Ça n’existe pas dans la littérature française contemporaine à ce point !

A travers sa lecture, ce livre nous a fait imaginer à quel point l’histoire politique d’un pays peut se comprendre à la façon dont les corps sont abimés. Nos corps à nous les pauvres, dont les systèmes, mis en place par les “dominants“, sont constamment humilié, brisé. Bref réduit à la misère.

C’est à la fois un livre coup de poing, socialement, un cri de rage, humainement, un sanglot mal contenu, filialement. Il comprend ce qu’il s’est passé entre son père et lui et après il y a en effet ce fameux « J’accuse ». Il dit, en gros : que son père et par ricochet moi l’Allocataire du RSA présentement le lecteur, j’ai été enfermé par quelques-uns mais toujours dominants « dans une catégorie maudite, oubliée ». Ces gens m’ont acculé à la solitude, au désespoir social et m’ont enfermé dans une forme de nécessité brutale.

Merci, Monsieur, de ne pas avoir répondu aux exigences de la Littérature bien-pensante, mais bien à celles de la nécessité et de l’urgence. Nous sommes heureux et fiers de notre choix de lecteur et voyez dans ce prix l’expression de notre voix et qu’elle vous accompagne dans votre quotidien.

Alain GUEZOU – Président de RSA 38 (Grenoble)

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Texte du courrier adressé à M. Edouard LOUIS

Monsieur,

Nous sommes quelques Personnes Allocataires du RSA, les PARSA  – à une lettre s’écrit le mot Paria – qui avons lu votre livre “Qui a tué mon père“ et qui nous sommes regardés après sa lecture en nous disant ce livre est l’histoire de ma vie.

Nous avons deviné, les uns (es) et les autres que votre livre est un long monologue, un sanglot mal contenu, une déclaration d’amour filial qui s’inscrit dans la suite des deux précédents que du coup nous avons aussi lu. Et nous avons aimé

Mais c’est la dizaine de page, réquisitoire contre tous ceux ont rendu votre père presque mort qui nous a illuminé. 

Suivre du doigt pour ne pas les perdre, ces mots  qui font des phrases, que nous répétons au quotidien comme une litanie de survie, “ la politique à une incidence dans et sur le vie des gens “ sont autant de “j’accuse“ contre la brutalité de celles et ceux qui veulent régenter notre vie selon leurs principes de castes. Vos mots sont autant de levier pour opposer à leurs bienséances, nos corps abimés et nos âmes dévastées.

Tant que des gens, comme vous, saurons écrire de telles pages, nous qui sommes aux yeux de la société une classe sociale maudite et oubliée, que nous sommes acculés à la solitude et au désespoir social, que l’on cherchent à enfermer sur nous-même ; et bien Monsieur Edouard Louis, grâce à vos mots, peut-être nous saurons, même si nous vivons dans un monde pauvre et dépossédé de presque tout  continuer à lutter pour les générations à venir qu’elles soient nos propres enfants ou pas.

Vous nous donnez l’occasion de nous inventer autrement, de devenir nous-même et le prix RSA 38 pour l’année 2019 exprime tout ce que nous ne savons pas vous dire mais que nous voulons que vous sachiez. Pour les classes les plus privilégiées de notre société, donner un prix est une évidence, alors que dans notre classe à nous, c’est une chose presque impossible. Et bien nous espérons que vous serez fier de l’expression de notre reconnaissance.

Merci Monsieur et chapeau bas pour votre livre.

Alain Guézou (Président de RSA 38)