Ce témoignage fait suite à la lettre ouverte du 2 juillet 2017 de Marine Toro à Emmanuel Macron.

Je réponds en faisant un post général (et public) de réponse à la vidéo de Marine car je pense que ça peut répondre à pas mal de critiques du genre « ouais elle peut faire campagne elle est pas SI malade, elle pourrait bosser cette assistée ».

En fait vous avez une méconnaissance totale des maladies auto-immunes. C’est pas grave, ça arrive à des gens très bien.
Je suis atteinte de la même pathologie que Marine, depuis 20 ans. J’ai également un enfant. Pour porter cet enfant, j’ai dû stopper mes traitements, j’ai eu un suivi en grossesse pathologique, des douleurs abominables qui, sans être au niveau des douleurs des contractions lors de l’accouchement, n’en étaient pas pour le moins épouvantables.
Inutile de dire que pour mon projet de deuxième enfant, je devrai stopper mon activité professionnelle.

Oui, je travaille.
Je travaille, mais j’ai déjà été licenciée car j’étais malade, car en arrêt de temps en temps, fatigable, surtout avec les effets secondaires de mon traitement. J’ai la reconnaissance travailleuse handicapée, et ça limite beaucoup mon accès à l’emploi, entre les entreprises qui ne veulent même pas me voir et celles qui me considèrent comme un token, un ratio dans leur pourcentage d’employés RQTH, sans faire aucun effort pour adapter mon poste ou même être un peu compréhensifs durant mes coups de mou.

Je travaille, mais j’ai fait un burn-out dans mon activité car j’exerce un métier incompatible avec ma maladie, ou du moins pas dans des conditions vivables pour moi. Non, au delà de 45h par semaine je ne peux pas assurer.

Je travaille, car mon mari travaille. Il y a 10 ans, au début de notre relation, il gagnait 1426€ net par mois. Je n’ai droit ni à l’AAH, ni à une quelconque aide, rien, NADA, parce qu’il était à 26€ au dessus du plafond de la CAF.

26€ !

1426€ par mois, en habitant en Île de France, avec 800€ de loyer, c’est pas possible. J’ai dû travailler, et trouver un travail proche de mon domicile (45 mn debout dans un RER blindé en poussée inflammatoire = 1 semaine d’arrêt ou 3 séances de kiné pour débloquer mon bassin)

J’ai donc dû travailler, en étant mal payée car je ne pouvais prendre que des boulots accessibles.

En 2014 j’ai trouvé une entreprise dans laquelle je suis encore actuellement, qui a une VRAIE politique handicap (oui, j’aime mon entreprise, entres autres pour ça). Une entreprise qui adapte mes horaires, qui adapte mon poste, qui me sécurise et me propose des actions de formation et de l’évolution professionnelle.
J’ai eu une chance inouïe.
Inouïe.

Je suis chanceuse, privilégiée, d’avoir trouvé ce poste-là. Sans ce travail, nous n’aurions pas pu vivre correctement. Et quand bien même, je vous rappelle que nous vivons en Île de France.

Nous faisons partie de la classe moyenne, celle qui paye blinde d’impôts, qui n’a droit à rien à part le minimum pour son enfant. Celle qui, le 7 du mois, est déjà à la dèche.

J’ai conscience que la précarité n’est pas loin de nous. Un accident de la vie ou une brutale aggravation de ma pathologie, et on y est. Si je perds mon emploi, c’est la merde absolue. Je m’accroche, et je vais souvent au travail (ce boulot que j’aime) en serrant les dents pour oublier mes douleurs, en espérant pouvoir tenir la journée, et le lendemain, et le surlendemain.

Et c’est PAS normal.
C’est PAS normal que je sois privilégiée par rapport à Marine, c’est PAS normal de me faire souvent violence pour tenir bon parce que le spectre du licenciement pour inaptitude me hante.

Je déploie mes forces pour bosser, et pour me battre comme je peux politiquement, avec le reste de mes forces.
Marine utilise le temps qu’elle pourrait employer à se reposer, car elle en a besoin, pour s’engager politiquement pour nous tous.
Et je suis fière d’elle, tellement fière qu’elle ait sauté le pas et qu’elle dépense toutes ses cuillères pour rendre le monde un peu moins pourri.

Dans une société où la valeur travail détermine ton droit à vivre, Marine donne sa santé et sa vie pour nous. Et moi, du haut de ma situation privilégiée, je l’en remercie, je veux porter sa voix et pas me satisfaire du peu que j’ai. Sa valeur à elle n’est pas fixée par sa force de travail salarié.

Alors maintenant, dites-moi.

Et vous ?

Vous qui la critiquez parce qu’elle est « assistée », vous faites quoi, concrètement, pour que nous tous puissions travailler dans des conditions décentes ?

Tous autant que nous sommes, nous sommes au bord de la précarité. Arrêtons de nous voiler la face, ce que le gouvernement nous prépare, là, c’est dangereux. Je sais que de l’autre bord de la rive on se dit qu’on a de la chance, on regarde de haut ceuxlles qui en ont moins.

Mais merde, bougeons-nous le cul au lieu de rager sur une personne qui fait au mieux.

Le 07/07/2017
Jeanne Schwartzkopf Venner
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