Humeurs dominicales (25/11/18) par Bernard Rodenstein (président fondateur de l’association « ESPOIR » à 68 Colmar)

Ceux qui peuvent encore et ceux qui n’en peuvent plus !

Avec ou sans gilet jaune, l’exclu d’aujourd’hui a du souci à se faire.

Une bénévole d’ESPOIR, physiquement très mal en point, disparaît parfois pendant des semaines et s’enferme dans le noir chez elle. Elle sort le moins possible. Elle ne mange que très rarement. Elle sait que nous l’attendons et que la table lui est ouverte. L’énergie lui manque pour arriver jusqu’à nous, mais elle a aussi beaucoup de mal à accepter notre solidarité. Il n’y a pas si longtemps encore elle était vaillante et hyper active. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et elle ne veut incommoder personne. Elle s’efface dans la plus totale discrétion. Nous en sommes tous affligés. Et impuissants. Car nous l’aimons.
Combien sont-ils, sont-elles, au cœur de nos sociétés « richissimes », qui glissent ainsi dans la non vie, ni vus, ni connus ? Dans l’indifférence générale. Comme les oiseaux « ils se cachent pour mourir ».

C’est l’extrême pauvreté ! Pas de liens affectifs. Pas les ressources nécessaires pour vivre décemment. Autant se laisser aller à la mort.

D’autres ont encore la force de se révolter et de crier leur désespoir à la face du monde. Ils ne savent pas qui est réellement responsable de leur triste sort. A un certain stade d’écoeurement ils se moquent de savoir qui, comment. Ils en veulent au monde entier et se débattent violemment. Des violences contre-productives la plupart du temps, mais que leur importe ? La violence qu’ils subissent dans leur exclusion est terrible et ils n’ont plus rien à perdre. Ils se trouvent enfermés dans l’irrationnel qui détruit tout et dans lequel ils s’auto-détruisent.

Les violences dans la rue, ces derniers jours, sont consternantes. Les regroupements de contestataires dérapent facilement vers des tragédies de ce genre. Mais, à Espoir, nous n’en sommes pas étonnés. C’est tout au long de l’année que nos équipes sont soumises à l’épreuve de violences individuelles, nourries, chez certains de nos résidents, par le sentiment de subir de monumentales injustices dans la plus grande des solitudes.

A croire que tous sont sourds et aveugles.

Et c’est le moment que choisissent les pouvoirs publics, à tous les échelons de nos institutions démocratiques, pour réduire nos dotations et nos subventions de fonctionnement. A croire que tous sont sourds et aveugles. La marmite bout. Elle menace d’exploser. Les discriminations sociales et économiques sont déjà allées trop loin, mais les rigueurs budgétaires doivent être appliquées sans état d’âme. C’est bien ce manque d’âme de la part des gestionnaires qui est perçu tragiquement par un grand nombre. Comment interpeller des calculettes, des algorithmes, des « sans cœur », des cyniques et des abrutis ? Ils mènent nos sociétés à la casse. L’humain est absent de leurs perspectives. Ils sont les fossoyeurs de nos espoirs et de nos maigres bonheurs.

Si demain la générosité des particuliers, des hommes et des femmes qui réfléchissent et qui compatissent, venait à s’assécher à son tour, tout basculerait dans une anarchie épouvantable.

C’est le cœur des êtres pleinement humains qui tient encore notre société en vie, grâce aux liens solidaires qu’ils y tissent chaque jour et en tous lieux. Ils ne sont rien moins que les sauveurs du monde. Ils ne le savent même pas et c’est tout à leur honneur.

Bernard Rodenstein (68 Colmar)

 

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