Ce matin nous sommes convoqués par la Direction des Ressources Humaines aux contrats aidés à la Ville de Paris pour le renouvellement de nos contrats de six mois. Nous nous attendons à être reçus dans un bureau confidentiel, à faire un bilan de compétences au cas par cas, à être remercié pour notre dévouement … Il n’en est rien.

Les contrats aidés sont sujets à débat depuis l’été 2017 et l’arrivée de la Macronarchie au pouvoir. Une cible facile, des travailleurs précaires, handicapés, vieux ou sous-diplômés. C’est à la rentrée 2017 à la suite de mon service civique que je signe de justesse mon premier contrat pour un an.
Puis nous sommes victimes de la conjecture et un jour, on nous apprend qu’il n’y a plus de CUI CAE, que maintenant ça s’appellera le PEC (Parcours Emploi Compétences). Jusqu’ici tout va bien. De toute façon en tant que travailleur handicapé, on a l’immunité, on peut signer pendant cinq ans. Ah désormais on ne peut signer que pour six mois? Bon, tant pis, on passera dix fois voir le DRH pour qu’il nous rappelle qu’il est temps de chercher du boulot et qu’on ferait bien de s’actualiser sur Pole Emploi. On a même droit au flyer pour le salon de l’emploi : « 10000 offres, 2000 recruteurs. Il y a forcément une place pour vous. » Le mec sur l’affiche ressemble à Macron avec un attaché-case dans la main, mais il a l’air cool.
Des travailleurs qui n’ont pas leur place dans la « start up Nation ».
Mon contrat arrive donc à sa fin et je reçois un mail très aimable où on me somme de venir signer mon nouveau contrat « aucune excuse ne sera tolérée, aucun retard accepté. »
« Champagne! », me dit mon tuteur. Pour la suite, pas beaucoup de bulles. Monsieur le directeur RH nous reçoit. Nous sommes une quarantaine de travailleurs de plus de 58 ans et de travailleurs handicapés dans la salle. Des travailleurs qui n’ont pas leur place dans la « start up Nation ».
L’accueil est cinglant :
« Ce sont vos derniers six mois, après celui-ci vous ne signerez plus de contrat avec la ville. »
« Je suis désolé de devoir vous l’annoncer. Nous sommes là pour vous donner les pistes qui vous permettront déjà de bien comprendre ce qui vous arrive et de prendre les dispositions nécessaires pour que vous puissiez à nouveau prétendre à un emploi pérenne par la suite.
Rencontrez votre conseiller Pôle Emploi. Vous allez me dire, c’est pas facile quand on a déjà 60 ans, mais toutes les situations sont uniques. Ce n’est pas moi qui vais répondre à votre problème, c’est votre employeur. »
Le type est odieux, les voix s’élèvent. Au fond de moi j’espère une insurrection. Je commence à retranscrire tous les échanges. Une façon de prendre du recul certainement en me donnant une contenance, un rôle.
« Vous devez faire des efforts pour améliorer votre CV. Il est temps de se prendre en charge. Aujourd’hui on est entré dans le 21ème siècle, vous vous devez d’être connecté ». Il est épaulé par Soraya une conseillère Pole Emploi qui nous rappelle gentiment que le contrat aidé n’est pas un vrai travail, que nous sommes des chercheurs d’emploi.
« Je bosse 35 heures pour la Ville et vous me dites que je n’ai pas de travail? », interrompt une femme. « Le but du CUI est de monter en autonomie, un assisté n’intéresse pas un employeur« . Le type n’hésite pas sur la forme.
« Vous croyez que c’est simple ? » lance un autre. « Ce n’est pas moi qui vous le reproche c’est la société mon cher monsieur. »
« Est-ce que les emplois vacataires existeront toujours? » demande une femme très calmement. « Ils existeront toujours oui, il faut postuler mais c’est au compte gouttes hein. Vos chances c’est 1%. Ou plutôt entre 0 et 1%.
« Je le répète, l’objectif est de trouver un emploi pérenne. La loi n’a pas changé vis à vis du contrat aidé mais les dispositions budgétaires prises par l’État ont changé. C’est votre dernier contrat en CUI. »
Une autre femme intervient : « Vous allez devoir baisser d’un ton, cela fait quatre ans que je bosse à la ville, ce n’est pas pour être traitée de la sorte. »
« Il va falloir être actif. Je ne suis pas là pour faire du social je suis là pour faire du légal. »
« Et pour les travailleurs handicapés? », demande un autre. « C’est la même chose, c’est le pot commun. »
« J’aimerais juste que vous parliez autrement, vous êtes vraiment malpoli et je ne suis pas la seule à le penser. » La dame derrière moi est au bord des larmes « je crois que je vais pleurer ».
Pépère se calme et pose la voix. Il prend une position bien paternaliste en s’asseyant à moitié sur une table face à nous.
« Je savais que cette première partie serait difficile. C’est un débat passionnant mais il faut être sincère. Il faut aller à Pole Emploi. Les premiers éléments de votre réseau ils sont aujourd’hui avec vous dans votre travail, n’hésitez pas à faire valoir votre réseau. Le titulaire avec qui vous bossez il a peut être un cousin boulanger qui cherche à employer une personne qui travaille bien, qui arrive à l’heure, qui respecte la hiérarchie, qui respecte les droits et les devoirs. Vous ne serez pas recruté grâce à votre CV, ça je vous l’assure. Vous serez recruté parce que vous connaissez quelqu’un au cul d’un camion ou dans un bar.« 
Une voix s’élève : « C’est quoi ça de dire que personne ne nous prendra grâce à notre CV ? Vous nous dévalorisez là, vous n’en savez rien ! »
« C’est pas des chasseurs de tête qui vont venir vous chercher. (le ton est acide) Moi je préfère vous dire sincèrement ce qu’on a pu constater sur vos dossiers. »

L’assemblée est de plus en plus dissipée. Sur ce, il donne la parole au responsable des formations qui calme le jeu, une femme dit « si l’on pouvait en finir et juste signer, on est venus pour ça. »
Et sagement nous nous sommes levés et avons signé nos 5 exemplaires puis fait la queue dans l’ordre alphabétique de nos noms.
Pas d’insurrection donc, juste des gens fatigués, désabusés.
À la sortie, tout le monde est choqué.
Ça gueule contre Macron, c’est un début, je crois.
Pas d’insurrection donc, juste des gens fatigués, désabusés autour de moi. Je suis la plus jeune. Une femme a 64 ans et on lui avait promis des contrats aidés jusqu’à sa retraite, mais elle est bien loin sa retraite. Je parle avec un homme, ancien ingénieur qui a eu la malchance de tomber malade, trop vieux pour être replacé, à défaut d’être remplaçable.
Le contrat aidé est présenté comme une « seconde chance » mais en réalité pour certains c’est la dernière. Présentés comme des assistés, les travailleurs précaires, « aidés », sont aujourd’hui eux aussi sur la sellette, une des résultantes de cette société de la compétitivité, de l’excellence et de la réussite de ceux qui sont « quelque chose ». On peut l’appeler « Parcours Emploi Compétence » et faire des Plans Pauvreté à tour de bras, la suite on ne la connaît pas mais on l’appréhende.

Pauline Menguy (Paris)
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