Mes chers complices, en tant que responsable de la personnalité morale dont j’ai la lourde responsabilité de garantir la profitabilité durable, responsable et respectueuse de l’environnement et des droits sociaux,  je viens vers vous pour vous rendre compte du résultat de nos rapines communes et procéder au partage du butin comme chaque année.

Certes, je sais que nombre d’entre vous ne connaissent rien à la comptabilité, à la législation du travail et à la conduite des affaires, mais comme vous le savez, nous ne sommes pas là pour vous donner des leçons de quoi que ce soit, surtout si vous avez apporté à l’entreprise commune un apport en capital en rapport avec l’immensité de votre fortune qui vous vaut le respect et la dévotion de l’Humanité tout entière.

Vos qualités humaines allièes à votre goût du risque et votre soif d’entreprendre, justifient pleinement les sous dont vous allez être abreuvés au cours de cette séance de partage du bien commun, chacun à proportion de la largeur, de la profondeur et de la hauteur du coffre dont il est l’heureux détenteur.

Cependant, je sais en même temps que le magot ainsi amassé ne suffira pas à satisfaire votre soif inextinguible, et que cette fois encore, le résultat d’exploitation aura un goût de trop peu : rassurez-vous, moi aussi, je souffre de la même pépie que vous, et d’ailleurs à la fin de la cérémonie sacrificielle qui nous réunit, je vous demanderai comme chaque année votre  accord pour puiser dans la masse commune de quoi apaiser un peu cette obsession qui ne me laisse jamais en repos : Cette année plus que l’année dernière, et bien moins que l’année prochaine !

Ce million que vous allez m’accorder, dont je ne sais que faire mais qui fait un joli cortège de zéros sur mon compte en banque, je l’ai bien mérité, car c’est moi qui me tape tout le boulot et qui me torture les méninges pour que vous ne me remerciiez pas d’une année sur l’autre…

Donc chers camarades, dans notre belle entreprise démocratique respectueuse des droits de l’Homme d’Affaires dont nous sommes ici les dignes représentants, chacun à proportion du tas d’or sur lequel il est juché, passons aux choses sérieuses en déroulant ici et maintenant les fastes du rapport moral, très très moral, de l’année écoulée.

Comme vous le savez, au milieu des augmentations prévisibles et obligées de retour sur investissement, nous avons dû faire face à un certain nombre d’entreprises terroristes menaçant nos activités et nous obligeant à des dépenses colossales en frais de justice et de communication pour restaurer notre image injustement ternie par des salopards irresponsables ennemis de la civilisation, de  la liberté d’entreprise et en définitive, de la démocratie, et qui par leurs actions infâmes, ont soustrait à notre rapacité une part non négligeable de profits dépensée en pure perte pour les raisons que j’ai dites plus haut

Ces casseurs de vitrines, ces voleurs de chaises, ces déchireurs de chemise, ces pendeurs d’effigies en carton, ces défenseurs de zones soustraites temporairement à la loi du profit mais promptement ramenés à la raison à coup de flash ball et de bulldozer, sont une calamité et une menace contre la prospérité de notre société anonyme, je veux dire de la société de liberté, de démocratie et de prospérité qui grâce au ruissellement qui vient, ne saurait tarder à venir à bout des dormeurs des rues, des fouilleurs de poubelles et des videurs de canettes qui souillent nos trottoirs et qui encombrent les entrées de nos belles résidences sécurisées, laissant croire à l’opinion ébahie que nos grandes capitales sont devenues aussi pauvres que les pays en développement que nous étions censés tirer de la merde, excusez la grossièreté du propos devant une si noble et si délicate assemblée.

Car nous sommes ici tous des démocrates, qui ne badinons pas avec les principes : J’en veux pour preuve, que l’augmentation de nos échanges avec l’Empire du Milieu n’a été possible que grâce à notre intransigeance sur le respect  du droit des travailleurs que garantit la société communiste à ses citoyens sujets et camarades, et qui est la démonstration vivante de notre capacité à nous autres, citoyens du Monde Libre de venir à bout de l’impossible : marier l’eau capitaliste avec le feu communiste, du moment qu’il y a du pognon à se faire…

En même temps, ne sommes nous pas en Marche ! vers des horizons que l’on croyait indépassables ? Trumpescu n’a-t-il pas serré la main à ce dictateur infréquentable qu’il menaçait il y a peu de réduire en poudre ? Ne montre-il pas par ce geste toute la complexité de sa tortueuse pensée qui conduit le Monde d’une main sûre vers le profit maximum, car à n’en pas douter, ce détecteur infaillible d’opportunités entrepreneuriales a compris avant tous les autres que la main-d’oeuvre nord coréenne est et sera pour longtemps la moins chère, la plus docile et la moins exigeante qui soit, grâce à l’attention paternelle, vigilante et implacable de son maquignon qui vient enfin vendre sur le Marché ce cheptel quasi gratuit mais improductif jusqu’à aujourd’hui…

Enfin, le mot « baisse du coût du travail « prend tout son sens, et nos économistes prosternés devraient en prendre de la graine et cesser de tenter de nous vendre de la délicatesse dans les rapports sociaux en échange de l’augmentation des profits. Car disons-le tout net, chers intellectuels du portefeuille ici réunis, comme vous le savez on ne fait pas d’omelettes sans casser d’oeufs, et on ne fait pas de profits sans casser du travailleur, de l’immigré, du fonctionnaire, du retraité, du chômeur, du malade et du petit patron. Sinon où prendrions-nous le pognon qu’on vous amène ici sur un plateau ?

Je sais que parmi vous il y a des gens qui vont se sentir visés, surtout ceux qui n’ont mis que leur bas de laine dans le pot commun, mais je ne suis pas inquiet pour la suite. Vous n’êtes pas nombreux à vous rendre compte qu’en échange des quelques euros que va vous rapporter la mise dans l’affrètement de notre entreprise de flibustiers, vous allez le payer cent fois en perte de salaires, de qualité du service public et de sécurité dans votre vie quotidienne. Et puis le somptueux buffet qui vous attend à la fin de notre aimable mascarade  contribuera j’en suis certain à apaiser certaines aigreurs d’estomac que pourraient ressentir les plus sensibles d’entre vous…

Je ne parle évidemment pas des guignols détenteurs d’une action symbolique qui à un moment ou un autre ne vont pas tarder à se lever pour tenter de troubler ce grand moment de célébration fraternelle en nous parlant des soi-disant dégâts environnementaux causés par nos excellents produits phytosanaitaires qui contribuent si largement à alimenter la cagnotte qui nous réunit ici comme les animaux autour d’un point d’eau dans la savane…Animaux dont les abeilles entre autres sont exclues, leurs besoins en eau étant infinitésimaux et puis ces petites bêtes ont une capacité de nuisance pâr piqûre sans commune mesure avec leur prétendue utilité dans la nature qu’aucune étude scientifique sérieuse n’a pu prouver jusqu’à aujourd’hui…

Que les lapins et les biches qui tremblent ici sur leurs guibolles en se rendant compte qu’ils côtoient des grands fauves qui ne feraient d’eux qu’une bouchée sur leur lieu de travail ou dans l’espace public se rassurent : ici règnent la paix l’égalité et la fraternité, juste le temps que les petits rongeurs et herbivores ne retirent pas tous ensemble leurs petites économies en écoutant les prêcheurs disséminés dans la salle qui n’attendent que notre permission pour prendre la parole et cracher dans notre gamelle commune avec je ne sais quelles histoires de droits de l’Homme, de sacs plastiques, de déforestation et de raclage de fonds marins qui n’ont rien à faire dans le compte rendu de notre activité civilisatrice responsable, équitable et porteuse d’espoir pour l’avenir.

Avant d’en terminer, je voudrais redire ici ma confiance dans ce système indépassable chanté par nos grands anciens : Tatcher, Reagan et leurs émules, de droite, de gauche et du milieu pourvu que ça rapporte, que le cours de bourse ne s’effondre pas et que les pauvres continuent de payer aux riches leurs dettes rubis sur l’ongle, comme le manant doit la corvée à son seigneur en échange de sa protection contre sa propre capacité de nuisance, qui ont su trouver la formule magique grâce à laquelle nous courons tous à la catastrophe avec entrain et bonne humeur  :

 » IL N’Y A PAS D’ALTERNATIVE ! »

Allez, tous avec moi :

IL N’Y A PAS D’ALTERNATIVE ! … IL N’Y A PAS D’ALTERNATIVE !

Et maintenant, passons tous à la caisse, et n’oublions pas mon million de pourboire pour vous avoir si bien vendu ma soupe et apaisé pour un temps votre soif d’absolu et de résultats nets après impôts (les plus bas possibles, les impôts !)

André BARNOIN dit « Dédé » (68 – Mulhouse)

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