Les pouvoirs publics doivent enfin faire de l’accès au logement une priorité nationale, estime Etienne Pinte, président du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), dans une tribune au «Monde» le 10 avril 2018.

Nous avons tous en mémoire l’appel «au secours» de l’abbé Pierre lancé en 1954. Les neuf millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, soit 14% de la population d’un pays considéré comme le cinquième plus riche du monde vous appellent à l’aide Monsieur le Président.

Plus de soixante ans après ce cri, ils ont l’impression que la situation n’a pas changé. Trois millions d’enfants et leur famille vivent sous le seuil de pauvreté et attendent de vous des gestes forts pour sortir de la précarité, comme l’accès à la cantine, pour tous par exemple, la  garantie d’être scolarisés pour ceux qui vivent à l’hôtel ou en bidonvilles ou d’avoir accès à la protection maternelle et infantile (PMI) ou à la médecine scolaire. Des milliers de mineurs non accompagnés sur le territoire français sont laissés à l’abandon, proies faciles pour les trafiquants. 54% des jeunes vivant dans des quartiers «prioritaires» souffrent d’un manque d’accès au savoir, 40% sont privés de loisirs et 20% de privations matérielles et de soins, selon une enquête de l’Unicef France.

Mal logement, renoncement aux soins

Des milliers de jeunes sortent de l’aide sociale à l’enfance dès 18 ans, 25% sont sans domicile fixe et certains passent le bac en vivant dans la rue!

Neuf millions et demi de personnes reportent ou renoncent à des soins dont 64% de femmes. Elles sont méconnues des politiques publiques alors que leur santé est pourtant dégradée et l’accès aux soins entravés. Cinq millions de personnes souffrent d’insuffisance alimentaire et sont aidées par les réseaux associatifs.

Parmi elles 34% des bénéficiaires sont des enfants de moins de 15 ans.

Près de 4 millions de personnes sont mal logées et 140000 sont sans abri. Près de deux millions de demandeurs sont en attente d’un logement social. L’engagement de l’Etat pour aider au financement de logements très sociaux est insuffisant. Sur 150000 logements sociaux à construire chaque année, il faudrait en financer la moitié en très sociaux.

Plus de 9 millions de personnes sont touchées par le surpeuplement qui accroît la pauvreté déjà persistante et la précarité des familles fragilisées face au marché du logement comme le dénonce inlassablement la Fondation Abbé Pierre. Cela a des conséquences sur leur sommeil, leur santé, la scolarité des enfants, rend la vie sociale restreinte et compliquée.

12 millions de personnes souffrent de précarité énergétique.

La France recense plus de 2 millions et demi d’étudiants. Plus de 50% d’entre eux rencontrent des difficultés financières. Certains fréquentent les Restos du cœur ou les épiceries solidaires et sont obligés de se loger dans des espaces insalubres à la merci de marchands de sommeil.

Une volonté politique forte

Cinq millions de personnes n’ont pas de relations sociales et souffrent de solitude. Victor Hugo écrivait «l’enfer est tout entier dans ce mot: solitude».

C’est le cas bien sûr des personnes âgées mais aussi de 40% de familles monoparentales. Des milliers de migrants, déboutés du droit d’asile, en instance d’être renvoyés dans un autre pays européen ou sans papier, ou dans l’attente de leur régularisation vivent dans la misère, sans perspectives.

Bien d’autres situations de pauvreté et de précarité pourraient être dénoncées comme celles de tous ceux qui n’ont pas accès à la formation professionnelle et cherchent vainement du travail depuis souvent des années et de ceux qui ne font que survivre avec les minima sociaux. La pauvreté ne disparaîtra pas avec un regain de croissance et une amélioration de l’emploi. La faire reculer nécessite une vraie stratégie fondée sur la confiance dans les personnes elles-mêmes et portée par une volonté politique forte.

Le principe du «logement d’abord» s’est imposé depuis quelques années et vous en avez fait un des projets de votre gouvernement. Il faut maintenant transformer l’essai et en faire une priorité nationale.

Construire les logements nécessaires à la dignité des personnes et à leur

insertion sera bénéfique pour l’économie, moins coûteux que les nuitées d’hôtel ou les centres d’hébergement et tellement plus bénéfiques pour la santé, le développement et l’épanouissement des enfants et des jeunes. Plus aucun enfant ne devrait vivre en bidonville, en hôtel ou en hébergement dans notre pays. A minima il doit pouvoir être proposé à tous un logement d’insertion de qualité.

Des réformes de fond

Vous avez lancé une concertation en vue de mettre en œuvre une stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes qui a duré trois mois et à laquelle ont participé de nombreux acteurs de la lutte contre la pauvreté, issus du monde associatif, politique, des collectivités territoriales, des caisses d’assurance-maladie ou d’allocations familiales ou encore des fondations privées.

Parmi eux, il y avait aussi des personnes qui vivent la précarité, notamment les huit membres du huitième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE). Le CNLE n’a pas manqué de répondre à votre appel alors que nous attendons en vain depuis des mois, les arrêtés de nomination des membres du Conseil qui devaient être renouvelés l’été dernier.

Nous avons besoin maintenant que vous donniez des signes forts de votre engagement aux côtés des plus pauvres

Les participants aux six groupes de travail vous ont fait de nombreuses propositions.

Certaines sont des invitations à déployer des dispositifs déjà existants qui ont besoin d’être consolidés financièrement, à pérenniser des expérimentations qui ont fait leur preuve ou à encourager des dispositifs innovants. Parmi elles, il y a beaucoup de pépites mais aussi des réformes de fond plus lourdes qu’il faut engager, notamment celle du pilotage collectif des politiques sociales au niveau local en y associant les personnes en précarité.

Nous avons besoin maintenant que vous donniez des signes forts de votre engagement aux côtés des plus pauvres, pour montrer que la pauvreté n’est pas une fatalité et qu’investir dans la lutte contre la précarité sera bénéfique pour tout le pays. Elle permettra de libérer les intelligences de ceux qui concentrent toute leur énergie pour simplement survivre, de rendre l’espoir source de créativité et de joie à ceux qui n’ont aucune perspective et de générer de la croissance et une plus grande cohésion sociale.

Etienne PINTE, président du CNLE

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