Photo : Marie aux prises avec son directeur.

À l’auditorium de la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris se donnait vendredi 16 mars la bientôt 100e d’Un Emploi nommé désir, une pièce de théâtre écrite par Christian Poissonneau sur une commande de Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC). Immersion dans le cœur et l’esprit d’une femme virée brutalement qui met toute son énergie à rebondir.

Un éminent professeur de la prestigieuse Sorbonne, invité par le Délégué Général de SNC, va nous expliquer les racines historiques du chômage. Il remonte à ses origines, au XIXe siècle, perd le fil de son discours, puis, subitement, préfère faire témoigner une spectatrice touchée par le problème. Trêve de grands discours savants ! Se présente une femme, la cinquantaine, fragilisée, bouleversée. Marie vient de se faire virer sans explication de son boulot de commerciale après 15 ans de bons et loyaux services dans une entreprise qui accumule les profits.

Pour raconter ce qui vient de lui arriver, elle a besoin d’un partenaire. L’expert fera l’affaire pour jouer le rôle de son directeur, qui va bafouiller les raisons du licenciement : « Fusion. » « Demain, c’est demain, et pas… « , « L’avenir, et pas… « , « Collaborateurs qui…qui pas… ». Trois mois plus tard, ce sera d’ailleurs à son tour de passer à la trappe.

Le grand spécialiste fera aussi le mari à qui Marie annonce la nouvelle. Champion hors pair de l’osso-buco, tout en cuisinant, il dédramatise : lui aussi a connu le chômage il y a longtemps, mais il a rebondi. S’adapter, envisager de nouvelles perspectives, tel sont les nouveaux mots d’ordre. Les métiers ont changé, les licenciements ont des raisons sur lesquelles on n’a aucun pouvoir.

Une fille du couple, « demandée » dans la salle, abonde dans le sens du mari : il faut que sa « mère » se construise une nouvelle vie. On apprend au passage qu’elle a décroché son diplôme il y a un an, qu’elle n’a toujours pas trouvé de travail malgré des milliers de CV et qu’elle habite toujours chez ses parents à 26 ans ! Cherchez la référence !

La famille fait bloc courageusement autour de Marie : c’est simple. Il faut qu’elle se forme, reste active, optimiste, s’engage dans le bénévolat, mette tout à plat. C’est le moment de « faire quelque chose qui plaise vraiment ». Ils se font un gros câlin réparateur.

L’osso-buco est cramé, mais s’ils sortaient de la routine, ouvraient un restaurant, ils auraient la clé de leur vie, enfin. Ils échapperaient à la maudite catégorie des « chercheurs d’emploi », seraient de l’autre côté de la barrière sociale.

Ces derniers, d’ailleurs, qui sont-ils ? Que font-ils ou plutôt ne font-ils pas ? Les comédiens distribuent des feuilles pour recueillir les stéréotypes qui courent sur eux.

Marie se rend à une soirée de commerciaux, une de ces « happy hours » qui n’est pas pour les chômeurs. Du haut de leurs performances commerciales, de leurs rendements mirifiques, ils débitent les préjugés que les spectateurs ont notés : manque de compétences, parasites du système, absence de confiance en soi, et, number one, feignants. « Et toi, Marie ? » Ils se tournent vers celle qu’ils vont exclure. Il y a ceux qui se font virer, et eux.

Marie s’enfonce sous le regard des autres, réel ou fantasmé. Elle a honte de ce qu’ils vont dire ou ne pas oser dire. Elle est un « boulet », une « merde », elle veut crier sa souffrance.

Un jour elle se rend à Pôle Emploi, elle est reçue par un conseiller chaleureux, positif, idéal : « Grâce à Pôle Emploi, pas de désarroi !  » Il lui propose une formation au chinois en 48 heures, lui trouve un job au rez-de-chaussée de son immeuble. Son employeur sera Brad Pitt. Un beau rêve !

La réalité, c’est la multiplication des CV comme les petits pains de Cana, les postes proposés qui ne conviennent pas, la « cour des miracles » des exclus, la suppression programmée des indemnités.

Un soir, elle rentre à la maison passablement éméchée. Le mari est furieux. Elle sort d’un entretien d’embauche, aussitôt mis en scène avec la comédienne qui jouait la fille. La DRH la reçoit à la place du patron, condescendante, méprisante. L’échange fielleux se focalise sur la lettre de motivation : faut-il écrire « nous sommes convenu » ou « nous avons convenu » ?, sur les motivations de la candidate, son dynamisme… Marie craque et envoie la DRH au diable avec des noms d’oiseaux.

Elle se tourne vers le public. S’est-elle comportée comme la situation le demandait ? Il n’est pas avare de conseils : travailler son image, s’introspecter, simuler des entretiens, travailler son projet, mettre en valeur son caractère, ses compétences, poser des questions pour faire parler la DRH, équilibrer le dialogue, échanger, s’aimer, même « faire de l’entretien un dialogue amoureux »…

Le retour à l’entretien est d’une grande drôlerie, presque bouffonne. Marie est la personne qu’ils recherchent, elle a fait du commerce une philosophie de vie, pratique les arts martiaux, la méditation transcendantale, fréquente les réseaux sociaux, parle le chinois couramment. « C’est votre premier poste ? » demande-t-elle à la DRH qu’elle qualifie de « belle personne » mais qu’elle plaint. Les rôles ont été complètement renversés !

À la maison, la descente aux enfers de Marie continue. « Bats-toi !  » lui dit le mari, « Tu t’isoles ! « , Leurs amis les quittent. Au lit, c’est la Sibérie. Marie a même osé demander une aide financière à ses parents sans lui en parler. La honte suprême ! « Tu es le centre de la famille ! « , « Tu ramènes tout à toi ! « , « Tu deviens invivable ! », »Tu cherches toujours le même boulot ! », »Tu refuses un temps partiel, un poste à une heure et demie de la maison ! », »Tu te donnes des alibis !,  » Tu joues les victimes ! « , « Tu nous entraînes dans ton malheur ! « , »Tu es en train de tout détruire ! « . Leur fille est partie, il va en faire autant.

On est au comble du malheur de Marie. Après ce chapelet de reproches cinglants, le mari se tourne vers le public. S’est-il bien comporté ? Qu’aurait-il dû faire ? Une fois de plus le public réagit, donne ses conseils : soutenir Marie, sortir, faire du sport, prendre du recul, mettre ses qualités au service d’une création personnelle. « Tout ne s’articule pas autour du travail. »

La scène est rejouée pour le plaisir du public. Plates excuses, promesses d’être présent, aimant, « Tu lâches ton boulot. » Et si on allait s’installer dans une ville moyenne, ouvrir un café philosophique où on servirait des macarons ? On va creuser l’idée, mettre tout sur le papier, faire un business plan. « Pas de patron au-dessus de nous. »

Aller aussi voir des associations comme SNC, s’inscrire à un atelier de la Cité des Métiers consacré à la recherche d’emploi…

Câlin final du couple sous les applaudissements !

On apprend que la pièce enregistrée il y a déjà deux ans est visionnée dans un atelier programmé à la Cité des Métiers animé par les bénévoles SNC : « Chercher un emploi, c’est du travail ». Elle aide les stagiaires à mettre des mots sur le deuil de la perte d’un emploi, et les blessures à l’identité professionnelle et sociale qui en découlent.

Elle contribue au travail de « défragilisation » et de « déculpabilisation » nécessaire pour adopter une position constructive dans la recherche d’un métier.

Enfin, le public, sollicité une dernière fois, remplit une feuille où il imagine « l’agence Pôle Emploi idéale ». Les réponses collectées seront transmises à l’institution avec laquelle SNC a noué un partenariat.

Il reste à remercier chaleureusement l’auteur et comédien Christian Poissonneau, les comédiennes Isabelle Courger et Alice Guérard pour avoir passé en revue les épreuves types qui attendent les chercheurs d’emploi : le drame de sa perte, la galère pour en retrouver un, les dommages collatéraux en famille, avec des mots justes, en dosant subtilement le drame et l’humour qui maintient ce dernier à distance. Spectacle émouvant, humain, plaisant, utile, et interactif !

Terminons sur une annonce : une expo photos de 20 portraits de chercheurs d’emploi de tout âge, de tout profil, à laquelle SNC est associée, a lieu du 10 mars au 10 avril sur les grilles extérieures du Palais d’Iéna. Pour changer le regard porté sur eux. Cette exposition tournera ensuite dans toute la France. Pourquoi ne pas imaginer une représentation spécifique de cette pièce adaptée à la Télévision avec l’appui des réseaux sociaux. Un beau projet porté par Vincent Godebout délégué général de SNC a quelques idées sur ce projet qui pourrait voir le jour à l’occasion de la 100ème d’un emploi nommé désir ? A suivre …

Monique Bouygues et Michel Thouillot, Archipel des Sans-Voix.

Voyez ICI les dates d’autres représentations programmées, dans toute la France.

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1 COMMENTAIRE

  1. D’après ce que je comprends, c’est du théâtre forum. C’est souvent très convaincant et fait réfléchir. Ce n’est probablement pas adaptable à la télé ou au cinéma. C’est l’interaction avec le public qui est essentielle dans ce genre de théâtre. A l’origine c’est un théâtre militant imaginé par Augusto Boal.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Augusto_Boal

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