Un article paru dans « Parents » (www.parents.fr) par Gisèle Ginsberg le 9 mars 2017

Durant trois ans, Houria, maman de deux garçons, s’est battue jour après jour pour vivre, ou plutôt survivre, avec moins de 600 euros par mois. Un exploit au quotidien. Elle nous livre son expérience, sa quête de la normalité et son souci de ne jamais sombrer.

La grande précarité des mamans solo : témoignage

1 100 euros : un changement de vie !

Et puis, il n’y a pas si longtemps, j’ai enfin décroché un emploi, en CDI ! Un miracle après tant de recherches. Je n’y croyais plus… Cela a changé notre vie. Aujourd’hui, j’ai 1 100 euros par mois et c’est le Pérou ! Comme si j’avais gagné au loto ! Quand on a vécu longtemps à trois avec 500-600 euros par mois, on voit la différence… Mon fils aîné rêvait d’un ordinateur : tous ses copains en avaient un. Alors, quand j’ai été sûre de garder mon emploi, je lui en ai offert un, que j’ai payé en trois fois avec un crédit gratuit. Si vous aviez vu sa joie, c’était magnifique ! Il s’est précipité dans mes bras et m’a serrée contre son cœur en me disant : « Merci, ma petite maman chérie ». Cela a balayé d’un coup toutes ces années où nous avions dû tellement nous priver. Le petit a eu le garage dont il rêvait… Et moi aussi, je me suis gâtée : j’ai réalisé un rêve tout bête, tout simple. Je me suis offert un manteau bien chaud… Parce que quand on a n’a pas d’argent, on a froid ! On ne peut pas se payer des vêtements de qualité. J’ai tellement gelé l’hiver, surtout quand je faisais la queue au Restaurant du Cœur dans ma parka toute légère achetée 10 euros au marché. Durant cette période, j’avais froid partout, dans mon corps, dans ma tête… Et puis, cerise sur le gâteau : l’été dernier, pour la première fois depuis très longtemps, nous sommes partis en vacances, en Bretagne avec mon comité d’entreprise. Nous sommes allés à la plage, nous avons fait de belles balades, nous avons même pu nous payer deux petits restaurants pas cher pour manger des moules. Un pur bonheur… Un luxe qui ne nous avait pas été permis depuis des années. J’avais l’esprit libre enfin, et mes enfants s’éclataient. Je me suis sentie revivre. Ils avaient bonne mine, étaient bronzés. Nous étions indépendants sans avoir besoin de demander de l’aide. Alors, pour la première fois depuis longtemps, je me suis dit : « Nous sommes sortis d’affaire… »
Bien sûr, je ne roule pas sur l’or, mais j’ai un travail, j’ai retrouvé une place dans la société. Mes enfants sont fiers de moi. J’ai retrouvé une dignité, que j’avais le sentiment d’avoir perdue. Mon rêve aujourd’hui : passer le permis de conduire et me payer une petite voiture. Bon, je n’ai pas encore les moyens, mais je mets un peu d’argent de côté chaque mois pour y arriver. Mes fils ont très envie d’un vélo. Et là je pense qu’à Noël prochain, le Père Noël, cette fois, sera généreux et réalisera leur rêve…

« je voulais qu’ils aient une enfance heureuse »

A la maison, on ne mangeait jamais de produits frais, toujours des conserves, du poisson pané, des gâteaux secs pas chers. Je me souviendrai toujours de mon petit garçon, le plus jeune, s’arrêter devant les vitrines des boulangers et regarder les yeux écarquillés les gâteaux exposés, les tartes aux fraises, les forêts noires, comme s’il voyait les plus jolies choses de la terre… Il me disait : « Maman, ça doit être très, très bon », mais il n’en réclamait pas. Mes enfants comprenaient que certaines choses n’étaient pas pour eux. Mais c’était quand même des gamins : alors quand je les emmenais au parc, ils ne pouvaient s’empêcher de demander une glace, une gaufre. C’était impossible de leur dire toujours non. Alors, je cédais et ils étaient heureux comme tout. C’était la fête ! Après, évidemment, il fallait que je me débrouille avec mon budget. A ce moment-là, je calculais tout à un euro près…
J’ai eu le sentiment que nous étions abandonnés par la terre entière !
Je cherchais du boulot, mais n’en trouvais pas… J’avais l’impression de me battre contre des murs et qu’on me laissait m’enfoncer inexorablement. Mes enfants, c’était ma priorité absolue : je voulais qu’ils aient une enfance heureuse et normale, même si nous avions trois fois rien… Alors, j’essayais d’être une maman souriante, qui chantait des chansons, racontait des histoires au moment du coucher. C’était parfois difficile de ne pas leur montrer mon angoisse, mais je crois que je n’y parvenais pas trop mal. Je voulais qu’ils aient une maman gaie, souriante pour qu’ils gardent le sourire. Ce qui ne m’empêchait pas de leur expliquer, quand ils me posaient des questions, qu’on n’avait pas beaucoup d’argent, mais que le jour où maman trouverait du travail, cela s’arrangerait. Sans s’en rendre compte, mes enfants m’ont aidée à vivre, à survivre dans ces moments si difficiles. C’est pour eux que je me suis battue et que j’ai gardé la tête au-dessus de l’eau. Je voulais qu’ils aient un avenir. C’est ça qui me guidait dans toutes mes démarches pour ne pas sombrer. Pour leurs vêtements, j’achetais sur les marchés et les puces, les foires aux miettes de mon quartier. Je farfouillais et finissais par trouver des vêtements à 1-2 euros. Pour le reste, j’attendais les soldes. Heureusement, ils étaient petits et ne réclamaient pas des marques, comme les mômes des collèges… Le téléphone, on me l’a coupé trois ans. J’avais juste droit à une ligne d’astreinte (je recevais des appels, mais je ne pouvais pas en donner). Pour moi, c’était très important, car je voulais pouvoir être appelée par l’école si quelque chose survenait. Quand j’avais un coup de fil à passer, j’allais au centre social où j’avais le droit de téléphoner pour des choses importantes. Sinon, j’appelais de chez ma mère, une voisine…

Noël, période la plus difficile

Le plus dur, c’était au moment des fêtes de Noël et du nouvel an… Partout, des guirlandes, des vitrines bourrées de victuailles, des jouets plus merveilleux les uns que les autres… Mes enfants regardaient tout ça d’un air émerveillé. Partout, il y avait des choses qui leur faisaient envie et qui ne leur étaient pas accessibles par la force des choses. « Maman, le Père Noël, il va m’apporter la voiture de pompiers, le grand garage, et ci et ça », me disaient-ils tout excités. Je leur expliquais alors que le Père Noël devait s’occuper de tous les enfants du monde et qu’il ne pourrait peut-être pas leur apporter ce qu’ils demandaient mais que c’est sûr, il ne les oublierait pas… Heureusement, ils étaient super gentils et devaient sentir qu’il ne fallait pas trop insister. Je me débrouillais d’ailleurs toujours pour qu’ils aient des petits cadeaux et un sapin de Noël que je négociais pas cher à la fin du marché… Pour décorer le sapin, je faisais plein de trucs moi-même avec les moyens du bord. Et on passait quand même de jolis moments ensemble. Pour le repas de Noël, c’était plutôt limité… Mais bon, je m’arrangeais pour qu’ils mangent quelque chose de bon et pas cher. Une chance, les petits aiment les frites, même le soir de Noël ! Un jour pourtant, j’ai fait quelque chose que je pensais ne jamais pouvoir faire… J’ai volé ! C’était la première fois de ma vie. Pour un repas du nouvel an où je n’avais rien, que des boîtes de sardines et des pâtes, je n’ai pas pu résister : j’ai chipé du saumon fumé dans un magasin. Mon fils aîné en avait goûté une fois et il avait adoré. Et moi, bien sûr, je ne pouvais pas lui en offrir. Quand j’ai vu ses yeux brillants à la vue du saumon dans son assiette, j’ai été récompensée de l’énorme frayeur que j’avais eue de voler et de la mauvaise conscience qui m’habitait. Je n’ai quand même jamais recommencé et j’ai toujours dit à mes fils qu’il ne fallait surtout pas voler !

Vivre à trois avec 500-600 euros

Je me suis retrouvée seule à élever mes enfants qui étaient petits. A l’époque, j’étais auxiliaire de vie. Mais très vite, j’ai perdu mon emploi, et les choses difficiles ont vraiment commencé. Nous avions très peu d’argent pour vivre et il fallait que je jongle en permanence pour payer les factures, le loyer, la nourriture. Je passais mon temps à demander de l’aide aux services sociaux, ce qui n’était pas facile pour moi qui avais toujours été salariée et autonome. Le plus dur, c’est quand j’ai été obligée d’aller au Restaurant du Cœur. Une fois toutes les factures payées, je n’avais plus assez d’argent pour faire mes courses. Je me revois avec mes deux petits, l’un dans la poussette et l’autre que je tenais par la main tant bien que mal, faire la queue dans le froid pour recevoir mon colis de vivres. C’était un crève-cœur pour moi d’en arriver là. Mais comment faire autrement ? Ma famille avait aussi de grosses difficultés, même si ma mère faisait le maximum. J’avais honte d’aller au Restau du Cœur et j’avais toujours peur de croiser quelqu’un que je connaissais, de dévoiler ainsi ma détresse aux yeux du monde. Et puis, un jour, j’ai vu un voisin faire la queue non loin de moi. Il avait l’air aussi gêné que moi… La pauvreté donne l’impression d’être exclu du monde. On se sent différent. On a le sentiment que les autres vous regardent de travers. Moi, je voulais donner l’image d’une famille “normale”, sans histoires. Je souhaitais que personne ne se rende compte de ma situation. Je m’en voulais de ne pas pouvoir offrir des jolies choses à mes enfants.