Vous pouvez aussi retrouver toutes les « Chroniques de Fabienne » directement sur sont blog « Le Journal d’une chômeuse »

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Episode 201 du 10/11/2017 : Qui rime avec chemin

Le Point vient de sortir un épais dossier sur les feignants. En parallèle, on nous informe que suite au contrôle de 270.000 demandeurs d’emplois, 37.800 ont été radiés car ils ne cherchaient pas assez activement du boulot. Soit 14% du total.

D’accord. Je le note.

Je sens bien que l’on ne nous aime pas beaucoup là-haut. Pour tout dire, je ne les aime pas davantage. Jupiter n’est pas une planète pour moi.
Comme je vous disais l’autre jour, je suis allée à Paris pour les quarante ans de carrière de Kent. Avant le concert, j’ai retrouvé des amis dans un bar près de Bastille. Je n’avais jamais mis les pieds à Bastille. Bref. On a discuté, contents de se retrouver. Autour de la table ils étaient trois. Un copain professeur qui, d’année en année, ne sait jamais dans quel établissement il va être affecté. Mes deux copines, elles, sont au chômage. L’une a un peu plus de 40 ans ; l’autre un peu plus de 50. Moi, disons que je suis au milieu. L’une est au chômage depuis quelques mois, l’autre depuis plusieurs années. Moi ben, je suis au milieu. Si aujourd’hui toutes deux – qui travaillaient dans la presse ou la radio – pointent chez Pôlo, c’est parce qu’elles ont flirté d’un peu trop près… avec le burn-out. Parce que le boulot est rude dans ces milieux-là aussi. Et qu’à un moment, la tête, le corps, n’arrivent plus à arquer.

Pour l’instant je travaille. C’est bien. Après une année à me taper la tête contre les murs, j’ai enfin été une gentille chômeuse qui a trouvé un temps plein. Parce qu’il faut assurer. Parce qu’il faut assumer. Mais quand même, tout n’est pas si simple. Et je crois que la grande leçon que me donne le chômage est de m’apprendre chaque jour le sens des priorités. Faut dire que je ne suis pas la reine pour hiérarchiser ma vie. Charge (de malade) mentale, si vous voyez ce que je veux dire.

Après mon licenciement économique, je n’avais qu’une idée en tête : gagner du fric. Parce que ça allait nous sauver de tout ! En même temps, vous avouerez que l’argent est bien utile pour des broutilles comme manger ou avoir une maison. Mon CDD va donc tranquillement s’éteindre en décembre et – contrairement à ce que je croyais – je vais le laisser sans grand regret. Car il m’a fait prendre conscience que je ne suis plus du tout en condition physique et mentale pour assumer ce type de charge. Beaucoup de route, des heures parfois le week-end ou le soir… non, décidément c’est plus de mon âge. Je vais revoir ma hiérarchie. En prem’s… mézigue. Parce que je le vaux bien ! Et que si je ne fais pas ce choix, je ne serais pas à la hauteur de mes proches qui attendent autre chose qu’un courant d’air vidé de toute énergie. Parce que ces proches ont besoin de ma pomme. Pour différentes raisons qui (croyez-moi) me contrarient un peu plus que le chômage. On va donc faire avec moins. Je vais arrêter de courir après le boulot à plein temps dont je rêvais, et revoir mes prétentions à la baisse. On se serrera la ceinture. Et même si on ne sera pas très chaudement vêtus, on ne finira pas à poil. Car sur le tas d’emmerdes dans lequel nous pataugeons, on a quand même la petite chance de savoir qu’on ne sera jamais tout à fait à zéro. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde, j’en ai bien conscience…

Alors je vais repartir à la chasse de mes 680 euros mensuels. Ceux qui constituaient mon salaire avant de me faire virer. Je vais faire le nécessaire pour gratter quelque part cette putain de poignée d’euros. Mais pas plus. Je vais arrêter de me rendre malade pour ça. Faire pause dans mon obsession. Mes copines ont fait un burnout parce qu’elles bossaient, justement comme des malades ; je ne vais pas en faire un parce que je ne bosse pas assez. La maison continuera à avoir des fuites d’eau, on ne partira pas mieux en vacances et les mômes n’hériterons de rien. Après tout est-ce l’essentiel…

Désormais il n’est plus question de vivre au rabais.

Ah oui, au fait, j’oubliais : parmi les 14% radiés après le contrôle… 36% ne touchaient déjà plus un rond.

(photo du formidable Gilbert Garcin)

Episode 202 du 12/11/2017 : C’est de quel côté la mer ?

Non mais c’est bientôt fini le foutage de gueule chez les Jupitériens…

Après Castaner – porte-parole de notre beau gouvernement – qui déclarait il y a quinze jours que « La liberté ce n’est pas de se dire que je vais toucher les allocations chômage pour partir deux ans en vacances »… voici maintenant un bébé-député En Marche qui critique les chomdus en disant que «Quand vous êtes salarié et que vous voyez certaines personnes qui partent en vacances aux Bahamas grâce à l’assurance chômage, il est légitime de se dire que ce système marche sur la tête ! »

Heu… Je commence à les trouver moyennement drôles les clowns qui avancent. D’autant qu’ils ont l’air tout à fait convaincu de leurs saillies !

Et d’ailleurs, Damien Adam (le bébé-député) s’est même payé le luxe d’ajouter : « Nous souhaitons que les demandeurs d’emploi se disent que la nation leur fait confiance à condition de respecter les règles»… Alors moi j’ai envie de répondre : chers tous, pour vous faire confiance, faudrait aussi que vous soyez irréprochables. Parce qu’après la fameuse moralisation de la vie politique, on apprend qu’au moins deux députés LREM ont embauché les enfants d’autres députés LREM. Remarquez, je dis une connerie… Ils ont raison d’en profiter puisque ils ont respecté les nouvelles règles. C’est légal. C’est de la bonne consanguinité d’embauche mais tant pis. Pas moral, mais légal ! Comme les Paradise Papers, rien d’illégal là aussi. Tout comme les 440.00 euros annuels alloués à Brigitte Macron (heureusement qu’en début de mandat, on jurait que la première dame ne devait rien coûter aux contribuables)…

De son côté, le jeune Manu a indiqué qu’il souhaitait renforcer encore davantage les contrôles envers les chômeurs en précisant : « Il faut qu’on s’assure qu’ils recherchent bien de manière active un emploi, il faut vérifier les efforts qui sont faits, et vérifier que ce n’est pas un multirécidiviste du refus ». Multirécidiviste ! Rien que ça.

Pourtant, voyez-vous messieurs LREM, c’est bien légal de toucher des allocations-chômage lorsqu’on a bossé. Car, accessoirement, on a aussi cotisé. C’est juste la règle ! Et je connais assez peu de gens qui restent à glander le cul sur une chaise en profitant à fond du système comme il vous est permis de le faire. Une récente étude du Secours Catholique a même révélé qu’un grand nombre de gens dans la merde ne touchent même pas ce à quoi ils ont droit.

Malgré tout – et puisque les prix semblent avoir évolués – lorsque je vais toucher mes 900 euros de chômage (après mon CDD), je vais illico contacter les agences de voyages pour connaître le tarif des locations aux Bahamas. On ne sait jamais… ce serait mes premières vacances depuis huit ans.

PS : M’sieurs-dames de chez LREM… Pour votre gouverne, les migrants ne sont pas tous des terroristes, les jeunes pas tous des délinquants, les chômeurs et les pauvres pas tous des profiteurs ! Faut arrêter le populisme à deux balles, on dirait du Le Pen ou du Vauquiez.
P’tain, on est mal.

(dessin de l’incontournable Rodho)

Episode 203 du 16/11/2017 : L’espoir fait vivre

Lorsque j’étais gamine, bien à l’abri dans ma chambre – sans télé, PC ou téléphone – j’imaginais que j’allais gravir des sommets, certaine de faire mieux que tout le monde. Notamment mieux que ma mère, femme au foyer d’une autre époque. Celle où l’homme faisait la loi et rapportait le salaire.

Le monde, lui, avait changé. J’allais en profiter. C’était la fin des années 80, la politique semblait plus humaine. L’espoir me faisait vivre.

Journaliste de formation, j’ai finalement bossé près de vingt ans dans la fonction publique, très loin de mes rêves. Mais il n’y a pas que le boulot dans la vie, pas vrai ? Comme j’étais une femme si forte et si indépendante, j’allais construire une vie de famille aux petits oignons, loin de la soumission de ma mère. En fait, j’ai vécu dix ans avec un homme violent et destructeur. Pourtant l’espoir me faisait encore vivre. Les ordinateurs n’étaient pas dans tous les foyers, la TNT n’existait pas. J’ai quitté cet homme, épongé les dettes et dix-sept ans plus tard, je suis retournée au journalisme.

Entre-temps, les chaînes d’infos avaient vu le jour. Les réseaux sociaux aussi. Les smartphones vibrent désormais à longueur de journée. Les ordis, les portables, les tablettes, tout clignote aujourd’hui au rythme du pouls du monde. Seconde après seconde, on voit en direct que les femmes restent maltraitées. Qu’elles sont toujours battues, agressées, sous-payées. Seconde après seconde, on constate aussi, impuissants, que l’ascenseur social et la reconnaissance des compétences n’existent toujours pas. Que les jeux sont faits d’avance. Que Bernard Arnault, propriétaire du journal Le Monde, retire 600.000 euros de budget publicitaire du quotidien dont il est actionnaire. Simplement parce que les journalistes ont fait leur travail en expliquant les montages financiers de cet l’homme aux 41 milliards de dollars. Que si le journal coule, ma foi ce n’est pas si grave. Que si la presse n’est pas libre, encore moins. On voit, sidérés, que Bernard Arnault est un spécimen parfait des premiers de cordée que la start-up nation de Macron veut nous vendre. Ailleurs, on voit que Siemens – après avoir annoncé 6.000 suppressions de postes – prévoit maintenant près de 4.000 licenciements supplémentaires alors que l’entreprise affiche un bénéfice net de 6,2 milliards d’euros… en hausse de 11 %. Plus loin, on voit que des migrants sont vendus en Libye, à la criée, comme esclaves.

Puis je lis sur les réseaux des insultes et des menaces.
Des haines.

Le monde a effectivement changé. A moins qu’il ne soit toujours le même. On n’y brûle plus les sorcières mais une femme comme la dessinatrice Coco de « Charlie Hebdo » se voit dans l’obligation de fermer ses comptes croulant sous les injures en ligne. Ici, on ne colonise plus ouvertement, pourtant la géopolitique et les stratégies économiques laissent volontairement mourir femmes et hommes par millions.

Je ne suis plus à l’abri dans ma chambre. L’espoir ne me fait plus vivre et dans quelques semaines, je serai à nouveau au chômage. Quand je lève les yeux de mon écran, j’aperçois ma fille de six ans déguisée en princesse. Elle me dit que les garçons de sa classe sont méchants, qu’ils la menacent de temps en temps, la tapent parfois. Je lui explique qu’ils sont idiots, que la vie n’est pas comme ça en réalité, qu’être gentille est une qualité, qu’elle aura une belle vie.
Hier elle a ajouté : « Les autres disent que le Père Noël n’existe pas. Ben moi j’ai envie d’y croire »…

T’as raison ma chérie, continue d’y croire ! Il te reste si peu de temps pour en profiter.

(dessin de Rodho qui va finir par m’envoyer les huissiers)

Episode 204 du 22/11/2017 : Message à caractère informatif

Si vous me connaissez, vous savez que j’ai mes petits rituels du matin (si vous l’ignorez, ben faut vous retaper les 203 épisodes précédents ou acheter mon bouquin, qu’il est beau, qu’il est pas cher).

Bref, moi aux aurores – avant de réveiller la marmaille – je me cale devant mon ordi avec café et clope. Une demi-heure à jeter un œil sur les infos, à vérifier les comptes et checker les mails. Et aujourd’hui, alors que le jour n’était pas encore levé, je découvre un mail de l’ami Pôlo disant que j’ai un message de sa part dans mon espace perso ! C’est toujours surprenant d’avoir des nouvelles du Pôlo. Parce qu’il est un peu comme la famille éloignée. Il t’envoie un mot aux anniversaires et à Noël, et le reste du temps il ne t’adresse plus vraiment la parole. Sauf en cas de problème.

Merdum me dis-je, j’ai dû faire une boulette lors de ma dernière actualisation… Je fonce illico sur le site, me connecte et vais regarder de quoi il retourne. Sous mon regard ébaubi, s’ouvre donc un courrier envoyé par le directeur de l’agence. Bon, en vérité, ce n’est pas lui qui l’a envoyé avec ses petites mains en ruminant : « Putain j’ai rien envoyé à Fabienne depuis plusieurs mois ! ». Mais c’est toujours plus sérieux quand un mot est paraphé par Môsieur le Directeur.

En haut dudit courrier est aussi indiqué le mail de contact de celui qui est mon conseiller depuis juillet. Et que je n’ai pas encore rencontré puisque je suis en CDD (depuis quatre mois) et que dans ce cas-là y’a pas franchement de raison qu’on se fréquente.

Alors, voulez-vous que je vous dise pourquoi il m’écrit Pôlo ?

Ben pour me donner une information. C’est même indiqué : « Objet : Information ». Et la breaking news en question est la suivante… Tadam : « ORANGE recrute 4 Technicien(ne)s poseurs fibre en CDI. Vous devez envoyer directement les CV à l’entreprise »…

Heu, c’est quoi le souci Pôlo ? Un petit coup de surmenage ? Depuis mon licenciement en juillet 2016, tu ne m’as JAMAIS envoyé UNE annonce ! Nada, zéro, niet, oualou.
Puis là, d’un coup d’un seul, tu me proposes de postuler à un truc pour lequel je n’ai aucune compétence. Pas même un malheureux mot-clé qui correspond à mon dossier. Ah si, pardon, un seul : CDI. En effet, je te confirme que je cherche un CDI mais à part ça… Grimper à des poteaux ou tirer des câbles en souterrain, c’est plus trop de mon âge. C’est quoi le délire, c’est une information – c’est toi qui le dis – mais il est aussi indiqué : « Vous devez envoyer directement les CV ». Donc je postule ? Faudrait me dire. Je ne voudrais pas que Jupiter pense que j’y mets de la mauvaise volonté. A moins que ce soit à toi, cher ami, que Jupiter mette la pression ? Peut-être qu’il t’a chuchoté d’envoyer des annonces tous azimuts pour bien prouver que tu bosses. Et – d’une pierre deux coups – débusquer les petits roublards qui ne répondent pas à une offre d’emploi valable, pour mieux les radier à l’avenir.

Pardon Pôlo, je sais bien que t’as pas mauvais fond. C’est mon côté parano qui ressort. Sans doute lié à l’ambiance délétère qui est En Marche depuis mai dernier.

Parce que toi, sincèrement, tu ne ferais jamais un truc pareil, pas vrai ?
Si… ?

(dessin du chouette Berth Christophe)

Episode 205 du 24/11/2017 : Œil pour œil 

Après l’histoire des Bahamas, v’là-t-y pas que la ministre de la Santé Agnès Buzyn vient d’expliquer au petit peuple « qu’on n’est pas là pour offrir des montures Chanel à tout le monde ou des verres antireflets qui filtrent la lumière bleue ».

Heu, chère madame Agnès, comment te dire les choses sans être un peu vulgaire…

Déjà commençons par le commencement. Pour avoir des lunettes, faut avoir eu un rendez-vous chez l’ophtalmo. Ici, à Nevers, faut compter trois ou quatre mois d’attente, au bas mot. Et même en cas d’urgence, si tu pètes tes carreaux, vaut mieux prendre des cours de comédie pour faire fléchir la secrétaire médicale qui voudra te filer une consultation en 2022.
Ensuite, munie d’une ordonnance, tout ce qu’il y a de plus légale, viendra le moment fatidique d’acheter les nouvelles lunettes. Dans mon cas, atteinte de vieillerie avancée, il me faut depuis dix ans des verres progressifs. Et même en tirant sur la qualité, ma note globale (avant remboursement) atteint les 700 euros. La sécu prenant en charge 14 euros et ma mutuelle, grosso modo, 300.

Tous les deux ans, il faut que je renouvelle mes lunettes. J’attends parfois trois ans. Mais dans ce cas, j’ai presque meilleur compte de me mettre à apprendre le braille. Et à chaque fois, je vais donc chez mon opticien mutualiste, que j’aime d’amour, parce qu’il accepte les paiements en plusieurs fois et propose des prix disons, abordables. Car même chez l’opticien mutualiste, il est difficile de trouver monture à son pif à moins de 120 euros !

Attends, attends Agnès, je te dis une connerie car une fois j’ai trouvé à… 20 euros. L’opticien en question ayant ouvert durant un temps un rayon-montures moches et trop pas chères. Durant des mois, j’ai eu l’air d’une mouche mais, c’est vrai, mes montures ne m’avaient rien coûté. Après tout.

Car côté remboursement, faut savoir que lorsque tu prends le forfait moyen de ta mutuelle – ce que fait la majorité de la populace qui a la médiocrité de ne pas gagner assez de pognon – tu n’as pas un gros retour sur investissement. Moi par exemple, ma mutuelle gentille me donne généreusement un forfait de 50 euros pour ces putains de fameuses montures, qu’on est un peu obligé d’acheter pour faire tenir les verres devant nos globes de bigleux.

Je ne te détaillerai pas, ma chère Agnès, le détail du prix des antireflets ou des anti-rayures. Sache bien cependant que – même si je n’ai jamais investi dans des verres filtrant la lumière bleue – ils sont quand même drôlement utiles pour éviter migraines et autres troubles du sommeil quand tu passes huit heures par jour à bosser sur un ordinateur.

Pour finir, je pense que les Jupitériens dans leur ensemble prennent leur quotidien pour le nôtre. Mais qu’ils fassent un peu attention car leur fantasme de voir dans la majorité de la population des profiteurs vivant tous comme des nababs, finira par leur revenir en pleine tronche.

Un jour viendra où ils diront de nous : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! »
Et alors j’ai bien peur que ce jour-là… quelques têtes ne se mettent à tomber.

(dessin du trop bon Ixène)