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Chronique N° 186 du 25/09/2017 : Boulot de dingue

On peut dire que je ne chôme pas durant ce CDD.

Comme on dit : je fais le job. Et en tant que journaliste, un de tes premiers devoirs est de discuter avec les gens, d’entretenir le contact, de faire du réseau. C’est de cette façon que l’information revient vers toi, par le biais des personnes que tu rencontres.

Et si j’avais déjà tendance à oublier que cette mission n’est que temporaire, mon petit laïus maintenant bien rodé me le rappelle chaque jour ! En clair, je me présente mais en précisant aussitôt que ce n’est pas la peine de me garder à l’esprit comme interlocuteur. Que je ne fais que passer… que remplacer. J’ai conservé la boîte-mails de la journaliste titulaire. J’utilise même ses cartes de visite. A cette nuance près qu’au dos, j’ai juste ajouté mon numéro de portable avec une date : jusqu’au 31 décembre. Jour de la fin de mon contrat.

Ce qui me donne l’impression d’être une denrée périssable avec une date limite de consommation.

En vérité c’est le cas.

Je dois à la fois être identifiable et ne pas rester en mémoire. Faire mon boulot tout en faisant en sorte que la fille qui reviendra dans trois mois puisse (re)faire le sien.

Ce qui revient à scier doucement la branche sur laquelle je suis assise, en gardant le sourire. Faire comme si tout ceci était normal, et au fond pas si grave. Parfois même rassurer celles et ceux qui me demandent où je vais travailler ensuite. Rester positive. Donner le change.

Et ça j’peux vous dire : c’est un boulot de dingue.

(dessin du pertinent Antoine Chereau)

 

Chronique N° 187 du 28/09/2017 : Le carnaval des animaux

J’ai regardé l’émission d’Elise Lucet sur le travail.
C’est édifiant, non ? Ces gens qui obéissent à des machines. Qui portent plus de huit tonnes de paquets par jour avec leurs petits bras pour remplir les rayons des magasins Lidl.
Lidl… cette enseigne où l’on va parce qu’on n’a pas trop de thunes. Sans doute parce qu’on est au chômage ou qu’on fait un boulot mal payé et à temps partiel. Genre : obéir à une machine et porter huit tonnes de denrées par jour.

Lorsque j’écoutais les responsables répondre à la journaliste, je me demandais ce qu’ils avaient dans le crâne ces tyrans en costume trois-pièces. Et comment peuvent-ils casser physiquement et psychologiquement des gens sans que cela ne dérange leur conscience à cran d’arrêt. Je me demandais comment dans cette autre grosse boîte (Free pour ne pas la nommer) on pouvait user – et abuser aussi facilement – du licenciement pour faute grave. Sans que cela ne froisse jamais les rutilants costumes qu’ils portent. Sans que cela ne les empêche de marcher, de baiser, de respirer. Ces petits tyrans que rien n’arrête dans le mépris et l’humiliation, allant jusqu’à interdire à leurs salariés de s’asseoir, de parler, de prendre une pause pour uriner.

Et puis, je me suis rappelé que depuis que le monde est monde, l’esclavage est dans nôtre ADN. Qu’en vérité, c’est une méthode qui est utilisée depuis la nuit des temps. Et que lorsqu’au détour du reportage, un chefaillon menace de mort un employé (s’il n’atteint pas ses objectifs) sans être inquiété par la Justice, cela prouve finalement que la société doit être d’accord avec lui. Comme elle trouve tout à fait logique de virer une RH pour faute grave… parce qu’elle ne fait pas assez de licenciements… pour faute grave.

Alors je repensais à Emmanuel Macron. Lui aussi porte un joli costume qui n’a pas l’air de froisser facilement. Notre président jupitérien qui détricote maille après maille le Code du travail à grand renfort d’ordonnances. Sans doute parce qu’on ne comprend rien à la modernité de notre monde et qu’il faut agir vite, et sans discussion. Pour apporter encore davantage de liberté aux entreprises. Qui désormais n’ont plus peur d’engager puisque certaines de pouvoir virer.

Comme si ces trente dernières années avaient été un long fleuve tranquille pour les salariés. Comme si le management par la terreur, les vagues de suicides, les suppressions de postes, les maladies, les dépressions…
Comme si tout ceci n’était que du vent.

Une fois la télé éteinte, j’ai été me coucher.
Demain est toujours un autre jour.
Toujours pire que le précédent.

(dessin du grand Large)

 

Chronique N° 188 du 30/09/2017 : Légitime défense

Lorsque j’ai posté l’épisode précédent, je ne m’attendais pas au nombre de likes et de partages sur ce texte. Et ce qui m’a frappé, ce sont les commentaires expliquant les cas de harcèlement au boulot. Hier, du coup, des potes à moi ont aussi parlé de leur cas. Du leur ou celui de leurs femmes. Des histoires d’appel au secours dans le vide, de larmes rentrées, d’abandon, de burn-out annoncé.

D’ailleurs en y réfléchissant bien, y’a pas mal de témoignages de nanas dans mon entourage. Sans doute parce que les mecs ne le vivent, ne le ressentent ou ne l’expriment pas de la même façon. Mais à mon avis, ils sont tout aussi concernés.

Ce qui me rappelle un post que j’avais écrit voilà pas mal de mois en arrière. Où, pensant lire des histoires marrantes d’entretiens d’embauches, je me suis retrouvée avec des confidences d’une violence inouïe. Du style : « A votre âge on ne craint pas que vous tombiez enceinte mais par contre pour le cancer… »

Alors c’est quoi le problème ?

A quel moment passe-t-on de l’autre côté de la barrière pour devenir un nazillon du management ? C’est un gène de naissance ? Une frustration de l’éducation ? La certitude suprême du bon droit ? Et même si ce travers est plus fréquemment l’apanage des hommes, les femmes ne sont pas exemptes à l’instar d’Angélique (Ah la bien-nommée !) – Angélique Gérard de chez Free – qui dans un mail explique : « Nous n’avons encore que 50 grévistes […] Nous liquiderons les 50 détracteurs ».

Liquider. Pour faire du chiffre.

Et en parlant de chiffre, en 2014, on estimait à 400 le nombre annuel de suicides liés aux conditions de travail. Soit plus d’un suicide par jour. Des gens tombés au nom du bénéfice, de la rentabilité, de la compétitivité, de l’avidité. Des gens qui voulaient juste bouffer et payer leur loyer.

Si un jour les morts en devenir décident de ne plus se laisser faire, faudra pas s’étonner.

Ce sera de la légitime défense.

(dessin du très bon Wingz)